Gervais Rufyikiri : « Petit à petit, la corruption a conquis les âmes »

Iwacu

Pendant dix ans, il a été parmi les grands décideurs au Burundi. Aujourd’hui, considéré comme un « frondeur », ou un « traître », c’est selon, il est contraint de vivre hors de son pays, en Belgique. Gervais Rufyikiri a retrouvé une liberté de parole et lutte toujours pour l’instauration d’un Etat de droit. Il dresse sans haine ni passion, mais sans concession, un portrait du « système » qui dirige le pays.

 

Gervais Rufyikiri

Gervais Rufyikiri

Au Burundi, certains vous reprochent d’être resté longtemps dans « le système », que vous dénoncez aujourd’hui…

Quand vous faites partie de l’équipe de gestion d’un Etat, vous ne parlez pas n’importe comment, n’importe quand. Il y’a des cadres appropriés pour s’exprimer. Ces occasions ne sont pas toujours portées à la connaissance du public.Je pense que j’ai fait de mon mieux pour sauver ce qui pouvait l’être, dans les limites de mes possibilités, compte tenu d’autres obstacles que nous allons évoquer, je pense.

Comment se fait-il que la corruption soit aussi forte dans un pays dirigé par des gens qui ont pris les armes pour, disaient-ils, « changer les choses. » En d’autres mots, on prend les armes pour perpétuer des pratiques que l’on dénonçait…

C’est vrai, fondamentalement les rébellions sont nées parce qu’il y avait des frustrations que des gens ne supportaient plus. Les gens voulaient un changement, par tous les moyens y compris la lutte armée. Ça, c’est l’idéal. Mais dans les faits, pour le cas du CNDDFDD, il faut se souvenir de ses origines, du mouvement rebelle au parti politique, et remarquer qu’il a connu des discontinuités au niveau de son leadership tant du temps de la guerre que du temps d’après-guerre. Ce qui pourrait aussi signifier une discontinuité au niveau de l’idéal poursuivi.

Quelle était la vision du leadership du CNDD-FDD au moment du changement 2005 ? Vous étiez parmi les « penseurs » du parti.

Dans ses principes officiellement annoncés, le CNDD-FDD visait la mise en place d’un pouvoir fondé sur les principes fondamentaux de la démocratie, l’Etat de droit, la réconciliation nationale, l’équité et le souci de promouvoir le développement économique et social du pays. Oui, j’étais parmi les penseurs, mais je fais peut être partie de nombreux membres du CNDD-FDD qui ont cru, peut être avec un peu de naïveté, que les choses allaient être simples, qu’effectivement le CNDD-FDD avait gagné la cause pour imposer un changement au niveau des comportements, d’autant plus que, le peuple burundais, fatigué par la guerre et ses conséquences, était prédisposé à adhérer aux changements. Mais très rapidement, on s’est rendu compte que finalement, au-delà de l’idéal poursuivi par le CNDD-FDD, des intérêts personnels ont pris le pas sur l’intérêt général.

Building abritant la cour anti-corruption

Building abritant la
cour anti-corruption

Comment expliquez-vous que cet idéal ait été vite travesti chez certains ?

La corruption n’est pas « génétique », mais elle peut être contagieuse par mimétisme. La tentation de « faire comme les autres. » En 2005, la majorité des Burundais espérait un vrai changement dans le comportement des dirigeants sur tous les plans, y compris la gouvernance économique. Malheureusement, petit à petit, on a assisté à des cas de scandale de corruption qu’on qualifiait naïvement de « cas isolés », mais qui se sont généralisés progressivement. Petit à petit, la corruption a conquis les âmes.

A l’époque, on disait que c’étaient des pratiques du président du parti, Hussein Radjabu et non du président Nkurunziza…

Moi je dirais que ce n’est pas malheureusement le fait d’un individu. C’est le fait du « système. » Si ces pratiques étaient l’oeuvre du seul Radjabu, après son départ à la tête du CNDDFDD, on aurait dû assister à des changements, la bonne gouvernance serait venue. Malheureusement, la situation n’a fait qu’empirer. Le problème c’était ce que certains même au CNDD-FDD appelaient le « système ».

Justement, si vous deviez définir ce fameux « système », c’est quoi, c’est qui ?

Le système, c’est quelque chose d’abstrait. C’est très difficile à définir qui est dans le système ou qui ne l’est pas. Tous les membres du CNDD-FDD ne font pas partie du « système. » Le «système CNDD-FDD» est un terme que les dirigeants du CNDD-FDD utilisaient en référence au courant politico-idéologique dominant véhiculé par les membres du noyau central de l’organisation mouvement (ou parti) et dans la prise de décision. Les membres du « système » formaient un groupe unifié partageant des pensées et une histoire commune. Du temps de l’équipe Ndayikengurukiye par exemple, le «système CNDD-FDD» s’inspirait de la vision de l’équipe des officiers ex-FAB alors que depuis son remplacement, il faisait référence aux dirigeants issus du PALIPEHUTU, parmi lesquels Pierre Nkurunziza, Hussein Radjabu, feu Adolphe Nshimirimana, Alain Guillaume Bunyoni, Godefroid Niyombare, Evariste Ndayishimiye, Etienne Ntakarutimana (alias Steve) et d’autres.

Certes, il faut être réaliste et reconnaître que la fin d’une guerre ne signifie pas un changement absolu des mentalités ou des comportements. Le changement peut venir progressivement. Cela demande de la lucidité, une persévérance dans l’espoir justement d’aboutir à ce changement. Je fais partie de ceux qui ont toujours cru que malgré les erreurs constatées, avec l’appui des amis du Burundi, nous pouvions renforcer le cadre légal, mais aussi institutionnel en vue justement d’imposer des réformes profondes au niveau de l’économie, mais aussi au niveau de la politique. Je ne voulais pas remettre le tablier avant d’avoir épuisé toutes les voies qui pouvaient conduire le Burundi vers une vraie stabilité économique et politique.

Qu’avez –vous fait pour tenter d’inverser la tendance ?

Je me suis personnellement investi dans les réformes pour qu’il y ait plus de transparence dans la gestion. La corruption est en effet plus facile quand les dossiers sont gérés de manière obscure, opaque. Nous avons mis en place des institutions pour faire une réglementation pour la passation des marchés publics et les exonérations par exemple. Ces réformes ont été bien formulées sur papier, il fallait alors des hommes et des femmes pour les mettre
en application. Et là c’était plus compliqué.

Faute d’hommes ou femmes capables de conduire ces réformes ?

Non ! Le problème n’était pas le manque d’hommes ou de femmes pour mettre en application ces réformes. Le grand problème était des institutions non indépendantes dans lesquelles ces hommes et femmes travaillaient. C’est à cause des noyaux qui se sont consolidés parallèlement pour finir par s’imposer et se positionner au-dessus de la loi et finalement imposer le traitement des dossiers en dehors des procédures et des cadres légaux.

« Ces hommes ont des pouvoirs de commandement sur la police et les services de renseignement »
« Ces hommes ont des pouvoirs de commandement sur la police et les services de renseignement »

Qui constituait ces noyaux ?

Quelque généraux, pas tous. Une catégorie de généraux, anciens des FDD. Ils se sont constitués en noyau dur avec des structures parallèles, officieuses, mais avec des pouvoirs de décision très forts, supérieurs au pouvoir des structures officielles constituées principalement par des civils.

Comment fonctionnaient-ils ?

Ces structures informelles fonctionnent non pas sur base de textes légaux, mais plutôt sur base des arrangements informels visant la protection des intérêts personnels. Les membres de ces structures vont utiliser tous les moyens, comme les harcèlements par téléphone, les filatures des gens, les convocations judiciaires, les intimidations, des arrestations et tortures, voire même des éliminations physiques. Ils donnent des contre-ordres non écrits, toujours via des communications ou des personnes interposées. Ils peuvent par exemple interdire aux agents du ministère de la Justice de traiter un dossier qui touche les intérêts de l’un ou l’autre membre de ce cercle ou alors carrément exiger le classement sans suite du dossier. Ils peuvent aussi commanditer des jugements bidon. Comme ces cercles ont des pouvoirs de commandement sur la police et les services de renseignement, ils vont les utiliser malheureusement contre les intérêts de l’Etat. Bref, ils distillent la peur.

Quelque chose vous a marqué dans cet enchaînement, de quand date le début de cette dérive ?

Je pourrais dire que le scandale qui a surpris tout le monde c’était cette fameuse vente de l’avion présidentiel dans des conditions obscures, le fameux Falcon 50. Je dirais que, si vous me permettez l’expression, c’est une sorte « d’acte fondateur. » Mais parallèlement, il y avait d’autres actes de corruption moins médiatisés. Je sais par exemple que le parti au pouvoir faisait des collectes forcées auprès des hommes d’affaires. Ainsi, pour gagner un marché public, il fallait promettre quelque chose à donner soit au parti CNDD-FDD, ou à certains décideurs membres du parti.

Le cas de la société Viettel a également choqué l’opinion…

C’était un cas emblématique de concurrence déloyale. Au Burundi, il y avait d’autres opérateurs en téléphonie mobile déjà installés. Comme partout dans le monde, l’Etat doit protéger les investisseurs, éviter des concurrences déloyales. Cela n’a pas été le cas pour Viettel. L’acceptation de cette société apparaît comme une volonté de nuire aux opérateurs économiques qui étaient en place, créer un concurrent avec des avantages énormes qui le mettent d’office en position de force, par rapport aux autres entreprises existantes. Pire, l’Etat imagine d’autres manoeuvres pour mettre en difficulté les entreprises existantes en exigeant notamment un coût énorme de renouvellement de leurs licences. Il va être arrêté à dix millions de dollars, soit 50 fois plus cher que le coût d’acquisition d’il y a 15 ans. Mais dans le fond toute cette pression sur les sociétés de téléphonie existantes a coïncidé avec l’arrivée de Viettel et avait visiblement l’intention de les mettre à mal. D’ailleurs, une de ces sociétés, Africel, a fini par fermer. D’après nos informations, Africel aurait refusé de payer une somme qui lui était exigée par une très haute autorité. Une corruption, qui selon nos informations était de l’ordre de 3 millions de dollars. Un tel refus signifiait sa mort. Et effectivement Africel n’a pas survécu aux harcèlements.

Cela doit être dur à vivre, assister impuissant alors que vous êtes deuxième vice-président…

C’est difficile à vivre en effet. Le dossier des compagnies en télécommunication a été transféré sous la responsabilité du Président lui-même, via l’ARCT. C’est-à-dire que les vices présidences étaient informées comme tous les autres citoyens. Pourtant, en principe les télécommunications devraient être sous la responsabilité de la deuxième vice-présidence compte tenu de leur impact économique. Mais ce secteur était traité exceptionnellement par le chef de l’Etat à cause des enjeux colossaux que cette branche représente.

L’autre secteur opaque est celui des exonérations…

C’est un autre secteur prisé par la corruption. Il y a d’abord des exonérations qui se font frauduleusement par les agents de douanes, celles qui sont obtenues parce que l’importateur a triché sur l’origine de ses biens ; en les déclarant par exemple comme d’origine est-africaine alors que ce sont des biens qui sont importés en dehors du COMESA ou de la communauté est-africaine, parce que les traitements diffèrent suivant les origines. Il y a aussi des exonérations octroyées parce que telle personne est influente. Toutes ces exonérations représentent des montants énormes qui n’entrent pas dans le trésor public.

Et là qu’est-ce qui vous a choqué le plus ?

Ce sont les cas des hommes d’affaires qui ont été attrapés au moment du déchargement avec des biens non déclarés ou alors des biens dissimulés dans des matériaux officiellement exonérés parce qu’il s’agit d’un investissement jugé prioritaire. Avec les constructions des hôtels par exemple, des commerçants pouvaient importer plus qu’ils n’en ont besoin et écouler le surplus sur le marché. De tels cas sont arrivés. Mais ces gens n’étaient pas que des simples commerçants et la loi ne pouvait pas s’appliquer aussi simplement. Moyennant des rétributions, ces commerçants avaient fait des connexions dans le « système », avec le fameux noyau de généraux. De fait, ils devenaient quasiment intouchables.

Sur papier le contrat pour l’exploitation du Nickel est clean. Sur papier uniquement »

Sur papier le contrat pour l’exploitation du Nickel est clean. Sur papier uniquement »

Quid du secteur minier ?

Le sol burundais possède des minerais industriellement exploitables. C’est le cas du nickel et d’autres métaux associés à Musongati, Nyabikere et Waga, des terres rares dont un permis d’exploitation a été octroyé très récemment, etc. Le secteur minier est un secteur transparent au niveau de la législation. Le code minier burundais est très moderne, élaboré avec des standards internationaux. Mais encore une fois le problème, c’est sa mise en application.

Parlons d’abord de l’exploitation.

Au Burundi, il y a des minerais exploités artisanalement parce qu’aucune étude n’a démontré la faisabilité économique d’une exploitation industrielle. C’est le cas de l’or et d’autres minerais comme le Coltan. L’exploitation artisanale est aussi réglementée par le code minier avec des procédures de taxation. Mais le problème dans une société où la culture ou alors l’obligation fiscale ne sont pas encore ancrées dans les moeurs, les quantités produites dans ces exploitations artisanales ne sont pas déclarées officiellement. Elles sont parfois mélangées avec des minerais frauduleusement en transit à partir du Congo. Leur exportation n’est pas déclarée. Les minerais sont transportés par divers moyens, dans des sacs en main, etc. L’Etat ne parvient pas à profiter de cette richesse que représentent l’exploitation et l’exportation de ces minerais.

Qui profite de ce commerce qui échappe à l’Etat ?

Dans les chaînes de trafic de ces minerais, vous allez y trouver de grandes personnalités, principalement des Généraux. Des Généraux ex FDD seuls ou associés à d’autres hommes d’affaires.

Quid des minerais industriellement exploitables, le nickel par exemple ?

Le code minier prévoit la manière dont les permis d’exploration ou d’exploitation sont attribués. Une fois qu’une entreprise qui a obtenu un permis a terminé l’exploration et qu’elle confirme que la matière est économiquement exploitable, elle obtient automatiquement le permis d’exploitation. Mais ce n’est pas si automatique, l’entreprise devra s’entendre avec la présidence de la République, mais aussi avec les autres intermédiaires qui facilitent le contact avec le Président. D’une manière ou d’une autre, elle devra promettre des choses en nature ou en espèces.

Pour le nickel c’est déjà fait ?

Pour le nickel c’est déjà fait, l’entreprise BMM a déjà confirmé que le nickel est en quantité suffisante avec ces métaux associés au point d’être exploité industriellement. Conformément au code minier, il a obtenu aussi en 2013 le permis d’exploitation.

C’est un contrat « clean » selon vous ?

Sur papier, c’est un contrat que je dirais « clean », le contrat reprend justement les termes qui sont dans le code minier. Mais des questions subsistent sur certains aspects difficiles à vérifier. L’entreprise qui fait l’exploration dépense et, normalement, elle doit faire un rapport final sur ses investissements. L’Etat doit vérifier l’exactitude des moyens investis dans l’exploration, pour éviter qu’une entreprise gonfle ses fonds d’investissement. Ce ne sont pas des fonds perdus, sauf si l’exploration n’est pas concluante. Mais une fois que l’exploration est concluante, l’entreprise doit rentrer dans ses frais. C’est à partir de là que des corruptions peuvent être faites. Vous avez toujours entendu ou vous avez vu un avion qui se posait à l’Aéroport de Bujumbura pour déplacer le Président de la République dans certaines missions, un avion loué par le propriétaire de cette concession qui explore le nickel. Troublant. Ce qui est sûr ce n’est pas gratuit. Encore une fois, il est difficile de savoir tout ce qui sera facturé dans les dépenses d’investissement.

Le Burundi est déjà lié par ces contrats, c’est fini, on ne pourra plus y retoucher ?

Oui, en respectant la loi, le Burundi est déjà lié par ces contrats puisqu’ils ont été attribués conformément au code minier. Sinon ce sera des procès et là l’Etat peut perdre. Même des années plus tard, il y’a continuité des Etats.

Encore une fois, pourquoi vous avez laissé faire tout cela ?

Normalement, le dossier minier est géré par le ministère de l’Energie et des Mines qui est effectivement sous la coordination de la deuxième vice-présidence.

« Pierre Nkurunziza est un homme qui n’est pas ouvert au dialogue »

« Pierre Nkurunziza est un homme qui n’est pas ouvert au dialogue »

Vous êtes donc quelque part responsable !

J’étais responsable pour ce qui est de l’aspect transparent, le respect des textes. Mais le code minier ne prévoit pas comment l’investisseur dans l’exploration doit rendre compte au jour le jour. Il y a donc des magouilles qui se font à côté, notamment dans le gonflement des factures, etc. Là ni le ministère de l’Energie et des Mines ni la deuxième vice-présidence ne sont compétents pour prévenir de tels cas. L’investisseur travaille comme un privé et on doit se contenter du rapport qu’il fournit. Et les possibilités de vérifier ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas sont fort limitées. Impossible de connaître quelle a été le « deal », l’entente et les liens entre l’investisseur et l’une ou l’autre de ces personnalités du « système », d’autant plus que l’exploration ne fait pas partie de marchés ouverts.

Mais à vous écouter, on a l’impression que vous étiez là juste pour le décor, dans certains dossiers…

Dans une situation où la corruption devient généralisée, où des personnalités corrompues parviennent à s’imposer, surtout au sommet de l’Etat, malheureusement c’est ainsi. Mais comme je le disais, j’espérais et je l’espère toujours qu’avec des lois fortes, peut-être il peut y avoir un sursaut pour la mise en application de ces lois. Pour un pays dont les aides représentent plus de 50% de ses rentrées, j’espérais une pression des partenaires. Malheureusement, la pression n’a pas été suffisante.

Et que disiez-vous à des investisseurs confrontés à la corruption et qui venaient vous voir ?

J’étais assez malheureux. Et comme par principe, la corruption est de nature secrète, il m’était difficile de savoir quelles ont été les négociations entre telle entreprise et tel général, ou bien entre telle entreprise et le Président. Parfois je voyais le responsable de l’entreprise toquer chez moi, frustré, avec peut-être une information qui n’a rien à voir avec le vrai problème. Souvent, les gens avaient du mal à parler, par crainte des représailles. En fait, l’information sur la corruption est une information difficile à obtenir. Le corrompu ne te dira jamais les montants qu’il a négociés, le corrupteur taira l’information sur les montants qui lui ont été exigés. On avait du mal à vérifier ou obtenir la vraie information sur certains dossiers.

Mais où va tout cet argent détourné ?

Il y a deux chemins empruntés par cet argent. L’un c’est pour alimenter le fonctionnement du parti, cela fait partie de la grande corruption. C’est cet argent qui construit les permanences au niveau national, provincial, ou communal. C’est cet argent qui fait fonctionner le parti au quotidien, les déplacements, les salaires de ceux qui travaillent en permanence pour le parti. Il faudrait arriver à mettre en application la loi sur les partis politiques, une loi qui prévoit un financement public des partis politiques. L’application rigoureuse de cette loi permettrait de garantir un fonctionnement normal des partis politiques bien sûr au prorata de leur importance évaluée à partir des élections. L’Etat pourra alors contrôler les dépenses au niveau des partis politiques, l’origine des fonds par rapport aux dépenses. Ceci éviterait l’enrichissement illicite au sein du parti politique au pouvoir, comme c’est le cas au Burundi.

« Les cotisations sont faibles et ne peuvent pas suffire pour faire fonctionner le parti »

« Les cotisations sont faibles et ne peuvent pas suffire pour faire fonctionner le parti »

Le CNDD-FDD aussi se nourrit de la corruption ?

Bien sûr, c’est malheureusement la réalité. Les cotisations sont faibles par rapport aux besoins du parti. La majorité des membres du parti CNDD-FDD sont des populations du monde rural qui ne donnent pas de cotisations au point vraiment de faire fonctionner le parti. L’autre chemin emprunté par l’argent de la corruption sert à satisfaire les besoins ou les ambitions personnelles d’enrichissement de certains. Cet argent apparaît sous forme de signes d’enrichissement illicite. Des personnes qui ont des revenus que tout le monde connaît, mais qui ont des villas pharaoniques, des véhicules de luxe, etc. Je cite un seul exemple du général Bunyoni propriétaire d’une villa évaluée à plus de 5 milliards de FBU à gasekebuye, un hôtel de 8 niveaux dans sororezo pour ne parler que de ces seuls exemples. Des biens évalués à plus de 10 milliards des FBU. Tout le monde connaît les responsabilités qu’il a occupées dans ce pays et les niveaux de traitement correspondant à ses responsabilités. Voilà où arrive finalement cet argent. Bien sûr, il y a d’autres sommes qui malheureusement n’apparaîtront pas aux yeux de tout le monde parce qu’elles sont déposées sur des comptes, soit au Burundi soit à l’extérieur.

Vous avez quitté le pays pour la Belgique, comment voyez-vous votre combat ?

Je continue toujours à militer pour l’établissement d’un Etat digne, je l’ai toujours été et je le reste. Il faut réfléchir sur le leadership, c’est cela qui manque le plus au peuple burundais, un leader qui pense aux intérêts communs avant de penser aux intérêts personnels. La situation actuelle est instable, intenable. La population peut-être majoritairement silencieuse aujourd’hui, mais elle finira par se lever et dire que c’est inacceptable. Le Burundi vit aujourd’hui une situation que d’autres peuples ont connue dans le passé. Les dirigeants d’aujourd’hui ne devraient pas recopier les erreurs du passé.

Pour vous ce « système » ne devrait pas tenir longtemps ?

Le système dans lequel le Burundi vit actuellement est une dictature qui s’est installée progressivement alors qu’en 2005 les Burundais avaient voté pour un système démocratique, transparent, responsable. Malheureusement, progressivement, le parti CNDD-FDD en utilisant les instruments de l’Etat tels que la police ou les services de renseignement a écrasé les autres partis politiques par des divisions internes financées par le service national de renseignement, l’achat des consciences, la répression, le terrorisme,etc. Aujourd’hui, dans un système officiellement multipartite, le CNDD-FDD s’est imposé comme parti unique de fait. Nous avons une dictature liée au système et une dictature individuelle, liée à la personne cette fois-ci de Pierre Nkurunziza lui-même. Un homme qui n’est pas ouvert au dialogue, qui se ferme sur lui-même. C’est une dictature multiforme. Mais l’histoire montre que les dictatures s’imposent toujours pendant un certain temps, mais finissent par tomber.

La question ethnique ?

Aujourd’hui, le problème fondamental n’est pas un problème ethnique. Ce n’est pas non plus un problème entre les partis politiques, entre les opinions différentes. C’est un problème des individus qui se sont positionnés à la tête de l’Etat mais malheureusement avec des ambitions d’enrichissements personnels. Pour protéger les biens déjà mal acquis et pour s’enrichir encore davantage dans des circuits obscurs, ils écartent tout regard critique. Ils utilisent tous les moyens de répression : menaces, harcèlement, emprisonnement et même l’élimination physique. C’est très violent. Ce sont ces pratiques qui créent justement les conflits parce que les autres finissent par élever la voix, et revendiquer leurs droits par tous les moyens possibles, y compris des moyens non conventionnels. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Pourtant, en 2005 le président Nkurunziza a été élu par le parlement, par les partis politiques, des Hutu et des Tutsi. Non seulement il a été élu par les membres de son parti (le CNDD-FDD), mais aussi par les membres de l’UPRONA et ceux du FRODEBU. Il était acclamé par tout le monde. Le Burundi avait dépassé la question ethnique.

Vous n’espérez pas un changement de Nkurunziza ?

(Rires) bon, les miracles existent, mais tel qu’on le connaît, j’ai des doutes sérieux.

 

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