Heineken in Burundi: Des révélations autour du troisième mandat

Burundi - Heineken

Yaga-Burundi

Un livre-enquête sur les activités africaines de Heineken fait couler beaucoup d’encre en France et aux Pays-Bas, le pays d’origine du troisième brasseur mondial. Le Burundi, où le groupe est implanté par sa filiale Brarudi, joue un rôle important dans le livre, Heineken in Afrika (pas encore traduit en français et en anglais). Le journaliste-blogueur Armel-Gilbert Bukeyeneza a rencontré son auteur, le journaliste néerlandais Olivier van Beemen. Interview.

Pourquoi ce livre ?

En ce moment, quasiment toute la classe politique aux Pays-Bas est convaincue que Heineken est bon pour l’Afrique, du premier ministre libéral au ministre de commerce et de coopération social-démocrate. Même la reine a chanté les louanges du brasseur. Ils considèrent que les activités africaines de Heineken contribuent à la croissance économique et qu’elles sont parmi les meilleurs exemples de l’efficacité du développement par le commerce, et non pas par l’aide.

Dans mon livre, je parle des aspects positifs du brasseur, mais je montre également la face cachée de Heineken : son implication dans des affaires de corruption, l’évasion fiscale, la fraude qui a pénalisé de jeunes gouvernements africains comme celui du Burundi peu après l’indépendance, les dégâts causés par l’abus de l’alcool… Je montre que Heineken a tous les moyens de pousser à la consommation, ce qui est bon pour son chiffre d’affaires, mais pas forcément pour les pays hôtes. Par ailleurs, les bénéfices de Heineken en Afrique sont de presque 50 pour cent de plus que la moyenne internationale. Les Africains paient leur bière souvent au même prix que les Européens, tandis que les coûts de production sont beaucoup plus bas.

Quand les politiques, journalistes ou les universitaires évoquent le monde des affaires en Afrique, ils se basent souvent exclusivement sur les informations fournies par les entreprises elles-mêmes. Des études indépendantes sur les conséquences pour la société et l’économie, comme la mienne, sont rares.

Vous consacrez une trentaine de pages de votre livre au Burundi. Quels sont les grands constats, les grandes découvertes et les grandes conclusions ?

D’abord, en temps normal, le Burundi, second pays le plus pauvre du monde, est parmi les plus bénéficiaires pour Heineken. Comme vous le savez, les Burundais adorent la bière et selon une étude de la Banque Africaine du Développement, ils consacrent 17% de leur revenu aux boissons alcoolisés et cigarettes, surtout à la bière, tandis qu’ils ne dépensent que 1% à l’éducation ou aux vêtements.

En ce moment, c’est le partenariat entre Heineken et l’état burundais au sein de Brarudi, qui crée la polémique. Le président Pierre Nkurunziza est très critiqué en Europe après son refus de quitter le pouvoir l’année dernière. Et c’est avec ce gouvernement que Heineken collabore au Burundi, où l’état possède 40% du capital. Les bénéfices de Heineken au Burundi profitent directement au régime, et les recettes fiscales du brasseur sont essentielles pour le fonctionnement du pays. Sans Brarudi, le gouvernement ne pourrait pas payer les policiers et les soldats qui commettent des atrocités. Pour cette raison, l’Union européenne et la plupart d’autres organisations et pays donateurs ont décidé de suspendre les aides. Selon les principes du Pacte mondiale de l’ONU, Heineken est probablement complice de violations des droits de l’homme commises par le pouvoir.

Nombreux sont les personnes qui pensent qu’il est bien pour le Burundi d’avoir Heineken sur place. Selon eux, cette présence pourrait attirer d’autres entreprises et elle crée de l’emploi. Moi, je constate que le monopoliste Heineken stimule surtout l’amour pour la bière, ce qui n’est pas tout à fait nécessaire dans ce pays, car c’est déjà un produit adoré. L’entreprise a dominé l’économie nationale depuis plus de 60 ans, mais qu’est-ce que ça a rapporté aux Burundais ? Je conclus que le succès de Heineken est plutôt un frein pour le développement. Il contribue à l’ivrognerie et à une certaine léthargie. Heineken fait croire au consommateur qu’il réussit dans la vie du moment où il peut se procurer sa Primus quotidien. Ou encore mieux, une Amstel. Ou bien le sommet, une Heineken ! Il est très probable que ça bloque d’autres ambitions, plus utiles pour la société.

Et comprends-moi bien, je n’ai rien contre la bière – je suis même un grand amateur. Mais au Burundi, les dégâts sont évidents.

Dans le livre, vous revenez sur votre discussion avec l’actuel chargé de communication à la présidence Willy Nyamitwe, en 2012, autour de la question du troisième mandat et les tentatives du président de modifier la Constitution pour se représenter en 2015. Quelles étaient les circonstances de cette discussion et quelle est la grande révélation qui en est sortie?

J’étais avec lui dans sa voiture, en suivant le président Nkurunziza un samedi matin, lors des travaux de développement communautaires hebdomadaires. Willy Nyamitwe m’a dit qu’il était interdit au président de briguer un troisième mandat, mais que son parti avait déjà imaginé une ruse pour lui permettre de rester au pouvoir. Comme le président n’avait pas été élu au suffrage universel en 2005, son premier mandat ne comptait pas, m’a-t-il dit. Ainsi, selon son entourage, il avait le droit de se représenter en 2015.

Willy Nyamitwe vous a demandé de ne pas écrire sur ces confidences. Vous le faites quand-même. N’est-ce pas une trahison ?

Il savait que j’étais journaliste. Quand on parle à un journaliste et on veut dire des choses en « off », on se met d’accord à l’avance. M. Nyamitwe ne m’en a rien dit. Après cette confidence, il s’est rendu compte qu’il m’a raconté un secret. Et après il me dit : « Il ne faut pas écrire cela. » C’était trop tard, d’autant plus que c’est une information importante que les citoyens burundais ont le droit de connaître.

D’après certains passages de votre livre, Heineken a aidé Pierre Buyoya en 1996 quand le Burundi était sous embargo. En évoquant la visite de Pierre Nkurunziza au siège national de Heineken aux Pays-Bas, en 2014, voulez-vous dire que Heineken est parmi les grands soutiens du régime de Bujumbura malgré les sanctions qui pèsent sur lui?

En 1996, après le coup d’état de Buyoya, il y avait un embargo commercial contre le pays. Publiquement, Heineken a promis de le respecter, mais en secret, l’entreprise a créé une nouvelle route d’approvisionnement pour ses brasseries, en passant par l’Afrique du Sud et la Zambie. Ainsi, grâce aux recettes de Brarudi, le régime de Buyoya pouvait continuer à fonctionner plus ou moins. A l’époque, l’agence de presse allemande a conclu que sans la bière de Heineken, la guerre aurait duré moins longtemps et que la brasserie maintenait le gouvernement en place.

Dans la crise actuelle, les pays et organisations donateurs ont décidé de suspendre la plupart des aides, car ils estiment que c’est irresponsable de soutenir ce gouvernement. Pour Heineken, c’est différent : il ne s’agit pas d’aide, mais de transferts fiscaux. Mais le résultat est pareil : le gouvernement actuel peut survivre grâce à Heineken et il peut payer les salaires des policiers et des soldats qui répriment la population civile. Si j’étais responsable de Heineken, je ne serais pas confortable dans cette situation.

 

Référence: http://www.yaga-burundi.com/blog/2016/07/07/heineken-in-burundi-des-revelations-autour-du-troisieme-mandat/#more-1914