Burundi : Rwasa ou l’art de la survie

Publié le 05 février 2016 à 08h48 | Par Rémi Rarayol/ Jeune Afrique. Rentré au pays après deux décennies d’exil, l’ancien chef rebelle conteste toujours la réélection de Pierre Nkurunziza mais a accepté la vice-présidence de l’Assemblée. Rencontre avec un homme insaisissable, dont on ne sait s’il s’est rangé ou s’il attend son heure.

Est-il possible, quand on a fréquenté le maquis des années durant, d’avoir un jour l’esprit tranquille ? Avec sa démarche de vieux félin et son regard bienveillant, Agathon Rwasa semble prétendre que oui. Mais sa villa située sur les hauteurs de Bujumbura dit tout autre chose. Derrière des sacs de sable amassés comme au front, des hommes en armes veillent. Lui-même finit par l’admettre : « Je frôle la mort tous les jours. Je suis dans le collimateur des deux camps : le pouvoir et l’opposition. Et le drame, c’est que celui qui chercherait à m’abattre rendrait l’autre responsable de ma mort. » Tout cela dit avec le sourire de ceux qui ont fini par se convaincre que « l’on meurt quand son heure est arrivée ».

En la matière, le temps s’est considérablement accéléré ces derniers mois au Burundi. L’ONU dénombre plus de 400 morts depuis avril 2015, parmi lesquels des militants des Forces nationales de libération (FNL), le parti de Rwasa. La faute au pouvoir ? À l’opposition dite « radicale » ? Aux deux peut-être. Car aujourd’hui, alors que le pays semble être condamné à choisir son camp, Rwasa occupe une drôle de place. « On ne comprend pas bien quelle est sa position ni où il veut en venir », admet un analyste politique qui a requis l’anonymat.

Des doutes sur son opposition à Pierre Nkurunziza

Est-il dans l’opposition, lui l’ancien ennemi juré de Pierre Nkurunziza qui a dénoncé les résultats des élections législatives et présidentielle de l’année dernière et qui continue d’en parler comme d’une parodie ? Faut-il le considérer comme un allié du pouvoir depuis qu’il a accepté à la surprise générale de siéger à l’Assemblée nationale et même, depuis le 30 juillet, d’y occuper le poste de premier vice-président ? Plusieurs des opposants en exil ont d’ores et déjà tranché : pour eux, Rwasa est « un traître » qui « cautionne » la dérive du régime.

« Moi ? Mais je suis dans l’opposition, feint-il de s’étonner lorsque la question lui est posée. Même le pouvoir me décrit ainsi. » De fait, il est l’un des rares, au pays, à critiquer ouvertement la « répression » du régime et les exactions des forces de l’ordre. Ceux qui sont à l’extérieur, poursuit-il, feraient mieux de se taire : « Où étaient-ils quand mes partisans se faisaient massacrer ? » C’était en 2010, au lendemain de l’élection contestée (déjà) de Pierre Nkurunziza. Les hommes du président issus de l’ancienne rébellion du CNDD-FDD avaient alors entrepris de réaliser ce dont ils rêvaient depuis des années : réduire au silence ce qu’il restait de « l’autre » rébellion hutue, le FNL de Rwasa.

Ce qui le guide désormais ? La responsabilité, dit-il

Beaucoup, à Bujumbura, pensent que cette sanglante répression explique la volte-face de Rwasa en juillet 2015. « Il ne voulait pas exposer une fois de plus ses partisans », croit savoir l’analyste cité plus haut. Chez les opposants, on lui prête de moins glorieuses intentions : jeune marié et père d’enfants en bas âge, celui qui n’est rentré au pays qu’en 2013 aurait décidé d’enfin jouir des avantages matériels et financiers du pouvoir.

Une autre raison est avancée par ses détracteurs : l’ancien seigneur de guerre aurait négocié son immunité. Son nom est en effet cité, depuis près de onze ans,dans le massacre du camp de réfugiés de Gatumba (166 réfugiés exécutés en août 2004). Peu après son retour d’exil, la justice a fort opportunément ouvert une enquête contre Rwasa, qui nie être lié à ce massacre. « Il bouge un petit doigt et le régime relance l’instruction », suppute un opposant.

D’autres enfin, parmi les diplomates notamment, lui prêtent un savant calcul politique : « Il se dit qu’en se plaçant au-dessus de la mêlée il se positionne pour la succession de Nkurunziza au cas où ça tournerait mal. » Le principal intéressé se défend de tout cela. Ce qui le guide désormais ? La responsabilité, dit-il. « Moi, j’ai définitivement dit adieu aux armes. Je suis plus utile aujourd’hui dans l’opposition. »

Le combattant s’est-il assagi ? 

Il n’en a pas toujours été ainsi. Né un an après Pierre Nkurunziza (en 1964) et dans la même ville que lui (Ngozi), Rwasa, alors qu’il était jeune diplômé en psychologie, a été contraint comme tant d’autres intellectuels hutus à l’exil en 1988, après les massacres de Ntega et de Marangara, puis, de fil en aiguille, à la rébellion. Au sein du Palipehutu, il monte vite en grade, jusqu’à devenir le leader de sa branche armée, les Forces nationales de libération. « Dans le maquis, c’était un demi-dieu, se souvient l’un de ses compagnons d’armes. Il jouissait d’une grande aura auprès des combattants. » Et d’une piètre renommée au-delà. Impitoyable et intransigeant, il est alors réputé pour n’accepter aucune contradiction.

Les temps ont bien changé. Rwasa, qui a passé vingt-trois ans en exil et à peine moins les armes à la main, aurait-il été gagné par la sagesse ? C’est ce qu’il veut faire croire, notamment lorsqu’il déclare, la main sur le cœur, que rien « ne peut conduire à l’extermination de l’autre ». La question qui se pose au Burundi aujourd’hui, poursuit-il, « n’est pas une question d’ethnie, mais de gouvernance ». Pour sortir de l’impasse, il propose des élections anticipées auxquelles Nkurunziza ne pourrait pas se présenter. Lui, si.

À chacun sa rebellion

Certains, au Burundi, se plaisent à croire qu’Agathon Rwasa joue un double jeu, et que dans les monts du Bujumbura-Rural, son ancien fief, ses hommes fourbissent leurs armes. Les Forces nationales de libération (FNL) reprendront-elles une nouvelle fois la route du maquis ? Rwasa jure que non. Il dit aussi ne plus avoir la main sur ses hommes. Selon lui, ceux qui rejoignent le maquis aujourd’hui ne sont pas les hommes qui se sont battus à ses côtés, mais la nouvelle génération, « les jeunes qui sont au chômage ».

On y trouverait également de nombreux déserteurs de l’armée et de la police burundaises. Trois mouvements armés (qui ont leur base à l’extérieur du pays) ont officialisé leur existence ces dernières semaines : la Résistance pour un État de droit au Burundi (RED-Tabara), les Forces républicaines du Burundi (Forebu) et un mouvement dissident des FNL. Des poches de rébellion séviraient également à l’intérieur du pays.

Rémi Rarayol