Dix questions sur le génocide des Tutsi au Burundi

Par Christophe RIGAUD/AFRIKARABIA | 08 fév 2016 Burundi, L’ampleur des crimes perpétrés au Burundi contre les Tutsi sous l’impulsion du président Pierre Nkurunziza et de son bras droit Willy Nyamitwe répond-elle aux différents critères de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide établie par la communauté internationale le 9 décembre 1948 ? L’Union africaine se dérobant, le Conseil de sécurité de l’ONU a-t-il l’obligation d’agir ? Dix questions et réponses pour éclairer le débat..

1 – Pourquoi la question d’un génocide se pose depuis longtemps au Burundi

Il faut remonter un peu plus de vingt ans en arrière pour comprendre comment l’actuelle tragédie s’est nouée. Le 1er juin 1993, Melchior Ndadaye devenait président de la République, à la stupéfaction des observateurs. Il était le premier Hutu du Burundi à accéder à ce mandat depuis l’instauration de la République, et le premier président désigné par les urnes (64,8 % des voix). Moins de cinq mois plus tard, des officiers tutsi aveuglés par la haine « ethnique » le capturaient et le tuaient, sans parvenir toutefois à prendre les rênes de l’Etat. S’ensuivit une interminable guerre civile comportant des épisodes génocidaires de part et d’autre. Elle a occasionné la mort d’environ 300 000 civils hutu et tutsi, et obéré le développement du Burundi, l’un des deux pays les plus pauvres du monde. Sous l’égide de Nelson Mandela, un accord de paix était finalement signé à Arusha (Tanzanie) le 28 août 2000.

Une “paix des quotas”

Les Accords d’Arusha créaient une Constitution partageant le pouvoir politique, administratif et militaire entre les élites hutu et tutsi par le biais de quotas. La Constitution donnait aux Tutsi – minoritaires et hantés par la tragédie du Rwanda – la garantie qu’ils ne seraient pas exterminés ni même discriminés. Ces quotas ont été critiqués, car ils cristallisaient des « appartenances ethniques »[i] (sic) dans un pays où il est souvent difficile de savoir qui est Hutu, qui est Tutsi. Des chefs rebelles s’indignaient qu’on donne aux Tutsi une part du pouvoir supérieure à leur poids démographique supposé[ii]. Mais les Accords d’Arusha apportaient la paix à une nation décidée à tourner la page d’une histoire tourmentée.

2005, l’année du retour à la démocratie

Cinq années furent encore nécessaires pour rallier les derniers extrémistes à ces accords et les mettre en oeuvre. En 2005, les Burundais se sont résignés à porter à la présidence de la République Pierre Nkurunziza, le plus brutal des chefs rebelles. Ils espéraient ainsi en finir avec les troubles. De fait, les premières années de son mandat furent un relatif succès. Nkurunziza s’est fait réélire en 2010 au terme d’élections truquées et le pays a de nouveau sombré dans l’incurie, la gabegie, la corruption. Les Burundais se résignaient à attendre la fin de ce second mandat en août 2015 car la Constitution issue des Accords de paix interdit au président d’exercer plus de deux mandats. Mais le 25 avril 2015, son parti, le CNDD-FDD, l’a investi comme son candidat pour briguer un troisième mandat.

Ignorant les mises en garde de la communauté internationale, réprimant dans le sang les manifestations d’opposants, Pierre Nkurunziza s’est fait réélire en juillet 2015 par un nouveau scrutin truqué. Une victoire à la Pyrrhus car Hutu et Tutsi confondus, la société civile a continué de tenir la rue.

2 – Et pourquoi la question d’un génocide se pose de nouveau

Pour briser cette résistance, le régime a décidé de ressusciter la « guerre Hutu-Tutsi » de sinistre mémoire. La répression s’est faite de plus en plus violente. Elle a d’abord visé les leaders hutu démocrates, insidieusement présentés comme des traîtres à une « cause ethnique ». Quelques-uns furent tués, les autres poussés à fuir. La répression s’est poursuivie à l’intérieur du Burundi en terrorisant des familles rurales – essentiellement tutsi -, qui se sont réfugiées dans les pays voisins. Meurtres ciblés, arrestations arbitraires, disparitions, passages à tabac et viols se sont étendus de mois en mois. Une ligne rouge a été franchie la nuit du 11 au 12 décembre 2015 lorsque des militaires ont attaqué les armureries de trois camps pour prendre le maquis. Prétextant des « attaques de rebelles » qui se seraient réfugiés dans des « quartiers contestataires » , le régime a lâché policiers et miliciens dans les rues. De jeunes hommes ont été arrachés de leurs maisons et systématiquement abattus s’ils présentaient la supposée « morphologie tutsi », et, s’ils semblaient hutu, brutalisés ou embarqués vers des destinations inconnues. Au total, environ deux cents hommes ont été liquidés en une seule nuit[iii], leurs corps emmenés vers des fosses communes pour éviter tout dénombrement.

Une centaine d’exécutions extrajudiciaires par jour?

Selon certains observateurs, on compterait dorénavant au Burundi une centaine d’exécutions extrajudiciaires par jour, visant surtout des hommes tutsi. Depuis juin 2015, quelque 240 000 personnes ont abandonné leurs biens pour se réfugier dans les pays voisins. Selon des observateurs fiables, ces fuites ont été méthodiquement provoquées par la milice présidentielle, les Imbonerakure. Environ 50 % des femmes et jeunes filles qui ont quitté le Burundi avec leur famille auraient été victimes de viols collectifs.

Depuis décembre dernier, policiers, militaires fidèles au régime et miliciens ciblent les Tutsi pour fracturer la société burundaise et provoquer un réflexe « ethnique » dans la perspective d’une nouvelle guerre civile. Le régime de Pierre Nkurunziza ne tient plus que par l’institutionnalisation progressive de la terreur visant les Tutsi, ainsi qu’une organisation méthodique de la propagande et de la désinformation sous l’égide de Willy Nyamitwe « responsable de la communication » du président,.
3 – Qu’est-ce qu’un génocide ?

Citons le “père” de ce mot, Rafaël Lemkin: Par “génocide” nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. (…) D’une manière générale, le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation, sauf quand il est accompli par un massacre de tous ses membres. Il signifie plutôt la mise en oeuvre de différentes actions coordonnées qui visent à la destruction des fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, en vue de leur anéantissement. Une telle politique a pour objectifs la désintégration de leurs institutions politiques et sociales, de leur culture, de leur langue, de leur conscience nationale, de leur religion et de leur existence économique, la destruction de la sécurité, de la liberté, de la santé, de la dignité individuelle et de la vie même des individus. Le génocide est dirigé contre un groupe national en tant qu’entité, et les actions sont menées contre les individus, non pour ce qu’ils sont, mais pour leur appartenance à ce groupe.”[iv]

Un concept forgé en 1943

Le juriste d’origine polonaise Rafaël Lemkin a forgé le terme « génocide » en 1943, en associant le mot grec ancien « génos », lignée, famille, clan, groupe, race, et le suffixe latin « -cide », du mot caedere signifiant tuer.[v]

Dans son ouvrage “Axis Rule in Occupied Europe” publié en 1944, il démontre la pertinence du néologisme. Avant même le débarquement en Normandie, les Alliés avaient connaissance de l’extermination des Juifs et d’autres minorités par les Nazis, mais n’y voyaient qu’un épisode « accessoire » de la Seconde guerre mondiale. Le Premier ministre britannique Winston Churchill parlait de “crimes sans nom”. Les mots pour dire l’horreur absolue manquaient. “Génocide” est le mot qui éclaira les enjeux les plus profonds du conflit. Rafaël Lemkin l’explique : “La guerre qui vient de se terminer a concentré notre attention sur le phénomène de destruction de populations entières, groupes nationaux, raciaux et religieux, tant du point de vue biologique que du point de vue culturel. Les méthodes allemandes, particulièrement en tant que forces d’occupation, ne sont que trop bien connues. Leur plan général consistait à gagner le paix, bien que la guerre fut perdue, et ce but pouvait être atteint en renversant d’une façon permanente en faveur de l’Allemagne la balance politique et démographique européenne. (…) La population qui survivait devait être intégrée dans le système culturel et politico-économique allemand. En vue de réaliser ces fins, une vaste destruction de groupes humains en Europe fut entreprise.”

4 – Le chef de l’Etat et son entourage ont ils l’intention de provoquer un génocide ?

Le président Pierre Nkurunziza caresse-t-il le projet d’exterminer jusqu’au dernier les Tutsi du Burundi, et si oui, depuis quand ? Durant la guerre civile commencée en 1993, l’actuel chef de l’Etat burundais fut un chef rebelle atroce, « scénarisant » des scènes de tueries de civils en faisant disposer des cadavres dans des postures évoquant un théâtre de l’horreur. L’opportun « oubli » de ses crimes dans l’accouchement de la paix entre 2000 et 2005 a fait grincer bien des dents. Nkurunziza semble obsédé par la tragédie de son enfance : il a perdu son père en 1972, emporté dans le génocide « sélectif » de 100 000 à 200 000 Hutu par le tyran tutsi Michel Micombero[vi]. L’homme a-t-il vraiment transcendé cette histoire dans ses délires mystiques de pasteur adventiste et de fanatique du football ? Il est difficile de percer les desseins de ce potentat ubuesque, dont même son entourage craint les foucades.

Le temps du langage de haine

Ce que le journaliste David Gakunsi appelait en octobre 2015 “le temps du langage de haine sibyllin” et des mots à double sens, est révolu depuis le 1er novembre. Ce jour-là, le président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, réunit les chefs de quartiers de Bujumbura. Un des participants enregistre ses propos. Après avoir déblatéré sur les opposants, le président du Sénat s’exclame “un jour on va travailler”. Depuis le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, dans la région des Grands lacs, chacun sait que le mot “travailler” signifie au sens second “exterminer”. “Qui ignore que “travailler” fut le mot-code du génocide au Rwanda? Tout est dit !” observe David Gakunzi.

Willy Nyamitwe a prétendu que les propos du président du Sénat avaient été « mal traduits ». AFRIKARABIA a démontré le contraire, en publiant la traduction française du discours du président du Sénat, ainsi que le transcript en kirundi et la captation audio de ce discours. Révérien Ndikuriyo a calqué son discours sur ceux de la Radio des Mille Collines, du magazine Kangura et de l’ensemble des « génocidaires » rwandais en 1994.

Voir le texte de ce discours en français, en kirundi, et l’enregistrement des passages les plus significatifs : http://afrikarabia.com/wordpress/le-burundi-au-bord-de-lapocalypse/

Pour Pierre Buyoya, ancien chef de l’Etat du Burundi, il y a risque de génocide

Adama Dieng, ancien Greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda, aujourd’hui Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la prévention du génocide, a estimé que « les discours de haine et la rhétorique [utilisés actuellement au Burundi] ressemblent à ceux observés au Rwanda avant 1994. »[vii]

Pour Pierre Buyoya, ancien chef de l’Etat du Burundi, interrogé par Christophe Boisbouvier sur RFI, « il y a risque de génocide, bien sûr. Et je me demande d’ailleurs s’il n’y a pas déjà des éléments de génocide, quand on voit le niveau qui est atteint par les violences aujourd’hui. »

D’autres propagateurs de haine

Le cacique du régime Nkuruynziza n’a jamais exprimé de regrets pour son discours du 1er novembre 2015 qui a stupéfié les diplomates et tous les observateurs du Burundi. Ses menaces de « pulvériser » les quartiers protestataires n’ont pas été officiellement démenties. Au contraire, elles apparaissent prophétiques depuis les massacres commis dans la nuit du 11 au 12 décembre à Bujumbura.

D’autres ont fait chorus. Pasteur Habimana est moins connu que Révérien Ndikuriyo, il n’a pas une haute fonction dans l’appareil d’Etat, aussi sa dernière intervention publique n’a pas eu le retentissement international qu’elle méritait… Comme les animateurs de la RTLM au Rwanda en 1994, comme les journalistes de Kangura, le magazine extrémiste rwandais, il qualifie les Tutsi de « race », avec tous les qualificatifs qui ont préparé leur génocide : ils seraient une minorité à la source de tous les problèmes, une minorité de menteurs… Pour les stigmatiser géographiquement, les quartiers contestataires Nyakabiga, Mutakura, Ngagara, sont qualifier de « quartiers rwandais ». Dans la foulée, Pasteur Habimana accuse les « Bazungu » (« les Blancs ») de vouloir protéger ces Tutsis rwandais venus au Burundi en 1959. « Un discours violent, racialiste, xénophobe, haineux, menaçant, anti-tutsi », résume le journaliste David Gakunzi.

La Radio nationale du Burundi copie-t-elle “Radio Machette” ?

Pasteur Habimana ne tient pas ces propos dans la sphère privée. Il parle dans un stade bondé où il est chaudement applaudi. Son allocution sera diffusée à la radio nationale. Il s’agit d’une dynamique de diffusion publique de la haine initiée par le discours de Ndabirabe à la radio nationale en octobre 2015. Pasteur Habimana est membre de la mouvance présidentielle et proche de Nkurunziza. Il est célèbre au Burundi depuis août 2004, pour l’un des derniers « hauts faits d’arme » de sa rébellion du FNL-PALIPEHUTU, le 14 août 2004 à Gatumba.

RFI a résumé les faits[viii]: “Dans la nuit du 12 au 13 août 2004, un camp de réfugiés congolais banyamulenge [NDLR: des éleveurs tutsi d’origine rwandaise installés au Congo entre le XVIIe et le XVIIIe siècle] est attaqué au Burundi. Cela se passe à Gatumba, tout près de Bujumbura. Une attaque d’une violence inouïe : plus de 160 morts et une centaine d’autres blessés. Les survivants parlent d’un déluge de feu : armes blanches, fusils automatiques, grenades incendiaires, des bidons d’essence aussi pour mettre le feu aux abris dans lesquels ces réfugiés avaient voulu se cacher.

La plupart étaient couchés quand des assaillants venus du Congo, parlant, selon les témoins, kirundi [la langue du Burundi], mais aussi kinyarwanda [la langue du Rwanda] et swahili ont attaqué le camp de Gatumba pendant plus de deux heures. […] Au lendemain de l’attaque, Pasteur Habimana, le porte-parole des rebelles burundais du Front national de libération (FNL) d’Agathon Rwasa avait revendiqué cette attaque sur des radios locales et internationales, avant de se rétracter.”

A l’époque, Pasteur Habimana était déjà une figure du FNL-PALIPEHUTU. Aujourd’hui, il est manifestement chargé de dire ce que les officiels ne peuvent plus dire aujourd’hui sur les ondes nationales sans risques de réactions diplomatiques internationales. Exactememnt la méthode de la Radio-télévision libre des Mille-Collines, « Radio Machette », au Rwanda entre 1993 et 1994.

“Oui, il y a des fosses communes, mais personne n’a le droit d’en parler”

On n’en finirait plus de citer les discours de haine relayés par la Radio Télévision nationale du Burundi. Le 1er février 2016, un nouveau un discours d’une violence extrême que AFRICARABIA s’est procuré (Christophe, merci de placer ici le fichier son intitulé Ndabirabe CNDD FDD.mp3). Ce discours lu par Gélase Ndabirabe, porte-parole du CNDD-FDD, est signé par Pascal Nyabenda, le Président du CNDD FDD et de l’Assemblée nationale. Du RTLM à peine édulcoré contre ceux qui s’inquiètent de la course à l’abîme du régime Nkurunziza. Des attaques virulentes, pêle-mêle, contre Louis Michel, Samantha Power, Pierre Buyoya, Paul Kagamé, les médias occidentaux, les ONGs, Amnesty International, les Nations Unies, la commission africaine. Racisme, ethnicité, xénophobie, négationnisme publiquement assumés. Un soutien intéressant aux génocidaires rwandais à travers notamment cette phrase à peine sibylline : « Kagamé doit savoir que s’il n’avait pas reçu l’aide de la MINUAR, il n’aurait jamais gagné la guerre contre l’armée du Rwanda ! » Sous entendu : sans les Blancs, on en aurait fini avec les Tutsi.

Quant à l’existence des fosses communes au Burundi, pointée du doigt par Amnesty Internationale, photos satellites à l’appui… Et alors? nous dit Nyabenda à travers la voix de Ndabirabe: “Oui, il y a des fosses communes mais personne n’a le droit d’en parler car c’est une affaire qui relève de la seule Commission vérité et réconciliation burundaise.” L’orateur, bien sûr, remercie les chefs d’Etat africains qui ont refusé le déploiement de la mission de protection de la population civile au Burundi… Willy Nyamitwe « principal conseiller en communication du président » ironise, comparant ces photos satellites aux “preuves” des armes de destruction massive de Saddam Hussein.

Si Pierre Nkurunziza s’exprime peu sur ses intentions politiques, et si Willy Nyamitwe se cantonne dans le registre d’une désinformation compulsive, leur entourage est beaucoup plus disert.

6 – La milice présidentielle Imbonerakure est-elle comparable aux SS de Hitler ?

Rafaël Lemkin opposait génocide, destruction volontaire d’une collectivité par une puissance de droit ou de fait, et assassinat individuel. Cette destruction pouvait être selon lui de nature physique ou culturelle. Une condition du génocide selon Rafaël Lemkin n’était pas seulement l’expression d’une volonté affirmée de détruire un groupe mais surtout la mise en place d’une organisation pour le faire. Raul Hilberg dans son livre majeur « La destruction des Juifs d’Europe » évoquera, dans la continuité de Rafaël Lemkin, qu’il cite à plusieurs reprises, « les structures de la destruction ». La pensée de Rafaël Lemkin a également irrigué la réflexion de la philosophe Hanna Arendt qui a montré l’effrayante « modernité » de la politique du génocide dans son œuvre majeure, Les Origines du totalitarisme, et aussi la mécanisation des acteurs dans sa narration du procès Eichmann à Jerusalem. Elle insiste également sur la mise en place « d’organisations parallèles » qui permettent de masquer le rôle de l’appareil d’Etat dans les premières phases du génocide.

Comme la SS à ses débuts

Rafaël Lemkin a montré « le lien très fort » qui, dans le régime nazi, unissait la SS, la Gestapo et d’autres services de répression. Au départ, « la SS est un ensemble de petites unités de gardes du corps du parti national socialiste qui a pour mission d’assurer la protection de ses membres. »[ix]

Comme la SS à ses débuts, et comme la sinistre milice Interahamwe au Rwanda, l’organisation de jeunesse du CNDD-FDD, les Imbonerakure (” ceux qui voient loin”), est d’abord impliquée dans le service d’ordre des réunions du parti, dans des agressions physiques comme des passages à tabac, des actes d’intimidation et les entraves au déroulement de réunions d’opposants politiques. Les Imbonerakure commencent à être montrés du doigt dans des homicides commis entre 2012 et 2014. C’est aussi l’époque où des témoins assistent à des entraînements militaires de Burundais en République Démocratique du Congo, ” constatée par RFI et dénoncée par les oppositions et sociétés civiles des deux pays », indique la radio française[x]. L’activiste des droits de l’homme burundais, Pierre-Claver Mbonimpa vient de dénoncer publiquement la présence d’entraînement de jeunes Burundais dans l’est du Congo. Une affaire très embarrassante pour Nkurunziza. Un Parquet aux ordres engage contre Mbonimpa des poursuites pour “atteinte à la sécurité de l’Etat”. La bonne question serait : qui porte réellement atteinte à la sécurité des Burundais par ces entraînements militaires supposés secrets ?

7 – Les Imbonerakure sont-ils devenus une armée parallèle ?

Envoyée spéciale de RFI, Sonia Rolley parle – le 12 septembre 2014 – d’un « secret de polichinelle”. Elle croit savoir que “un accord secret a été signé […] pour permettre aux militaires burundais de faire des opérations. Une décision difficile à avouer aujourd’hui”. La journaliste cite plusieurs sources, “selon lesquelles on est passé de moins d’une compagnie à plus d’un bataillon. Entre 750 et 900 hommes, essentiellement dans le lieu dit de Kiliba Onds, mais aussi le long de la rivière Ruzizi”. Mais Sonia Rolley cite déjà certains médias et activistes locaux, qui parlent « d’entraînement des Imbonerakure, la jeunesse du parti au pouvoir au Burundi qui comprend de nombreux démobilisés ». Fidèle à ses habitudes, « la Monusco dément officiellement tout en bloc. ». Pourtant toute cette affaire est confirmée par l’avocat belge Bernard Maingain à l’été 2015.

Une organisation criminelle surarmée

Des représentants de la société civile burundaise l’ont mis mettre en rapport avec des agents haut placés des services de renseignement burundais affolés des plans secrets du pouvoir et décidés à les dénoncer. Me Maingain transmet au Conseil de sécurité de l’ONU des procès verbaux de leurs témoignage ainsi que des photographies sur les caches d’armes des Imbonerakure. Une des photos remises par le témoin « Carlos » représente un lot de mitrailleuses lourdes dans une cache des Imbonerakure

« Je constate qu’à l’intérieur de l’appareil d’Etat du Burundi, il y a une équipe de personnes qui travaillent non pas au respect de la loi et au respect des droits de l’Homme, mais dans le cadre d’activités criminelles », résume l’avocat qui souligne que les témoins/repentis ont travaillé dans l’entourage le plus proche du président Nkurunziza ainsi que dans un service secret baptisé « Sécurité » au parti présidentiel CNDD/FDD.

Depuis 2007 (deux ans seulement après le début du premier mandat du président Nkurunziza), « Carlos » a participé à un trafic d’armes à destination de la ligue des jeunes du parti CNDD/FDD, les Imbonerakure « Carlos » décrit comment, une nuit de 2007 vers 3 heures du matin, il fait partie d’une équipe qui s’est rendue à l’aéroport de Bujumbura pour prendre livraison d’une cargaison d’armes contenues dans 140 caisses en provenance de Chine. Lui-même a personnellement transporté à la résidence du président Nkurunziza cinquante « boîtes » contenant chacune cinquante pistolets de fabrication chinoise avec des chargeurs de 15 cartouches. Il précise qu’il y avant aussi des pistolets mitrailleurs et des mitrailleuses.
En 2009, « Carlos » a participé à une réunion à la « Joy Guest House » à Ngozi (nord du Burundi) où il a été décidé que les armes seraient distribuées aux Imbonerakure dans la perspective des élections de 2010, où le président Nkurunziza entendait se présenter à un second mandat sans réelle concurrence. Le général Adolphe Nshimirimana était le coordinateur de la distribution avec un certain Kasungu [littéralement« le Blanc », sans doute un métis] – un nom d’emprunt – et un troisième homme.

Les Forces armées du Burundi tenues à l’écart

Lorsque les partis d’opposition, soumis à un harcèlement constant, ont décidé de s’abstenir de participer au scrutin de 2010, les armes ont été reprises et stockées dans une maison isolée de Bujumbura, appelée « Intelligence Office House ». L’opération était clandestine et la police, soupçonnant un trafic, a tenté de perquisitionner la maison. Un des hommes liges du président a dû intervenir en urgence pour stopper l’opération de police. A l’époque, la presse burundaise a relaté cet incident, sans toujours prendre conscience de l’enjeu.

En 2013, à l’approche de la fin de second mandat et dans la perspective jugée délicate d’une violation de la Constitution et des accords d’Arusha, un accord a été passé entre le Renseignement burundais et les FDLR, la rébellion du Kivu issue des anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR), en fuite depuis le génocide des Tutsi du Rwanda. Au sein des FDLR on trouve de nombreux éléments de l’ancienne milice rwandaise Interahamwe, qui ont sympathisé avec la milice des jeunes du Burundi. L’objectif était d’envoyer en RDC des Imbonerakure pour qu’ils suivent une formation militaire assurée par des officiers des FDLR, à l’insu de la communauté internationale et des Forces armées du Burundi. Ces dernières, apolitiques, ont été tenue à l’écart du processus de radicalisation criminelle.

Une chaîne de commandement dépendant directement du président Nkurunziza

Le secret n’a pas duré. Lorsqu’ils ont dû quitter la RDC à la suite d’indiscrétions, les Imbonerakure ont bénéficié de la mise à disposition de terrains dans des endroits discrets, notamment derrière l’aéroport de Bujumbura et dans la plaine de la Ruzizi, limitrophe de la RDC. Une chaîne de commandement des Imbonerakure a été créée. Toutes ces manigances auraient été mises au point par le président Nkurunziza en personne, un certain Karera et Paul Ndimubandi, secrétaire général de la Ligue des jeunes du parti CNDD/FDD. « Kazungu » a été chargé de sortir les armes de l’arsenal secret et de les répartir entre miliciens. Une réunion a eu lieu à cet effet au siège du parti, réunissant les responsables provinciaux, les 18 chefs Imbonerakure provinciaux et 129 chefs locaux. « Carlos » dispose de photographies représentant ces distributions d’armes à des cadres de la Ligue des jeunes du parti présidentiel.

Il a été déclaré à cette occasion que les Imbonerakure devaient s’infiltrer dans les manifestations prévisibles des partis d’opposition pour fomenter des incidents afin de créer la zizanie entre opposants. Ils devaient aussi tirer sur les responsables de l’opposition à la tête des manifestations, et faire disparaître des opposants [toutes choses par ailleurs mises à l’œuvre à partir de la mi-2015].
Pour appuyer les Imbonerakure dans leur dessein d’infiltration de l’opposition a été créée une Force spéciale de police, composée de dix-neuf personnes connues pour leur brutalité.

Il a été précisé aux Imbonarekure qu’ils devaient profiter de l’agitation autour de l’action de la police à l’aide de camions à jet d’eau et de grenades lacrymogène pour passer à l’action. Il a été dit littéralement aux Imbonerakure : “Toute personne qui s’opposera au troisième mandat du président Nkurunziza devra en subir les conséquences”.

La recherche d’un conflit régional

Même si les mots d’ordre étaient secrets, cette radicalisation a été perçue par de nombreux responsables du parti CNDD/FDD et a provoqué des tensions. Sans doute pour entraîner les plus hésitants, il a été décidé d’élargir la conflagration programmée aux pays voisins. Dans le cadre des relations établies avec la rébellion rwandaise des FDLR a été lancé le projet d’un attaque du Rwanda au nord est du Burundi par une alliance de Imbonerakure, FDLR et miliciens Maï Maï (alliés des FDLR en RDC). Le général Adolphe Nshimirimana[xi] aurait personnellement supervisé cet agenda. Une partie des armes achetées clandestinement par la présidence burundaise aurait été confiée aux FDLR pour les conserver discrètement et les redistribuer ensuite aux miliciens Imbonerakure.

Selon “Carlos”, le Général Adolphe Nshimirimana, le dénommé “Kazungu” et un certain Emile Ruda étaient à la tête de l’opération.

L’assassinat des religieuses italiennes de Kamenge

Ces personnages tiraient un certain nombre d’avantage de leurs allers et retours en RDC. En particulier le général Adolphe Nshimirimana avait créé une filière de trafic de minerai d’or vers le Burundi sous couvert d’actions caritatives menées par les religieuses italiennes du couvent de Kamenge, le quartier nord de Bujumbura. L’intermédiaire était un prêtre surnommé Buwenjero ( ?) du couvent de Kamenge. A la suite de désaccords dont on ignore encore la teneur, le général Adolphe Nshimirimana s’est senti trahi par le prêtre. Toujours selon « Carlos ». Buwenjero a été vraisemblablement empoisonné. Soupçonnant les trois religieuses italiennes de Kamenge d’être au courant des manigances, elles ont été assassinées en septembre 2015 dans des conditions atroces Voir AFRIKARABIA.

Le second témoignage entièrement rédigé par un autre ex-employé du Renseignement burundais, que nous appelons « Bonito » reprend des informations de « Carlos » et y ajoute d’autres éléments. Il donne les noms et les circonstances des assassinats d’un certain nombre d’opposants au président Nkurunziza. Il confirme en les précisant les plans d’attaque du Rwanda pour détourner l’attention de la violence du régime au Burundi. Il fournit une copie des cartes d’identité des Imbonerakure infiltrés.

Voir : http://afrikarabia.com/wordpress/burundi-revelations-sur-larmement-de-la-milice-pro-nkurunziza/

Le mouvement des Imbonerakure est essentiellement composée d’hommes âgés de 18 à 35 ans, dont de nombreux anciens soldats démobilisés. Ils ont été progressivement impliqués dans des opérations de « maintien de la sécurité » au niveau local. Portant des uniformes semblables à ceux de la police ou de l’armée, ils sont aux avant-postes de la répression et des meurtres de civils. souvent en liaison avec la police et l’administration. Plusieurs témoins affirment avoir vu des Imbonerakure impunément abattre des militaires qui manifestaient de la répugnance à s’en prendre à des manifestants pacifiques Hutu “indésirables” et Tutsi.

Tout comme “la liquidation des personnes politiquement indésirables et des Juifs”

Amnesty International a par exemple recueilli le témoignage suivant : « Les Imbonerakure font des patrouilles de nuit. Quand ils tombent sur quelqu’un, ils l’interrogent. Parfois, ils frappent les gens et leur demandent de l’argent. La nuit, c’est eux qui contrôlent la ville. Ils arrêtent les gens. Ils les conduisent à la police, qui les enferme dans des cellules ».

A l’intérieur du Burundi, les exactions des Imbonerakure, viols massifs, meurtres ciblés, spoliations de terres ou de biens, seraient à l’origine des fuites massives depuis la mi-2015.

Tout ça rappelle quelque chose. Rafaël Lemkin soulignait en 1946 le pouvoir discrétionnaire de la police dans l’état totalitaire nazi. « La police n’a aucun compte à rendre aux tribunaux administratifs (…). L’une des principales missions de la police et de la SS est la liquidation des personnes politiquement indésirables et des Juifs. »[xii]

“Les Imbonerakure sont plus puissants que la police”

Selon un défenseur des droits humains vivant à l’extérieur de Bujumbura, « les Imbonerakure sont plus puissants que la police. Si la police attrape un voleur, mais que les Imbonerakure interviennent en sa faveur, le voleur est relâché, parce que la police a peur. Un policier qui ne s’entend pas avec les Imbonerakure se retrouve muté dans une autre région ». Un adhérent du CNDD-FDD a confié à Amnesty International la raison pour laquelle il avait changé de parti politique : « Avant, j’appartenais au FRODEBU-Nyakuri, mais j’ai accepté de rejoindre le CNDD-FDD parce que je ne voulais pas mourir ».

Citons l’exemple Fidèle Nsengumukiza, membre du Conseil économique et social, et secrétaire général de l’Association des motards du Burundi. Le12 mai 2013, il tient des propos incendiaires sur les ondes de la Radio Publique Africaine (RPA). Il aurait notamment déclaré qu’en politique, « on ne tue pas, on élimine les obstacles ». Il se serait en outre vanté d’être prêt à « mobiliser les jeunes du CNDD-FDD pour dire non à l’Accord d’Arusha avant les élections de 2015 ». Il a déclaré aux auditeurs que « personne n’irait à La Haye », sous-entendant que les Imbonerakure ne pouvaient pas être traduits devant la Cour pénale internationale pour répondre des atteintes aux droits humains commises. Fidèle Nsengumukiza a été arrêté le 14 mai 2013 et placé en détention par le Service national de renseignement (SNR). Il a ensuite été transféré à la prison centrale de Mpimba, pour finalement… être relâché sans inculpation.

Pour Rafaël Lemkin, « une analyse des fonctions spécifiques de la Gestapo et des SS, de leur programme et de leur conception du monde, mène à la conclusion qu’à la lumière de leurs liens très forts et de leurs activités combinées, ils constituent une association qui a pour but l’exécution de crimes in genere. De tels crimes sont dirigés (…) contre le droit international et contre les lois de l’humanité. Une telle association est ce qui, en droit anglo-saxon, est appelé conspiration, et en droit européen, l’association séditieuse. Par conséquent, la simple appartenance à de tels groupes devrait être considérée comme un crime, et tous les membres de la Gestapo et de la SS devraient être punis. »[xiii]

Au Burundi les Imbonerakure sont-ils l’organisation vouée à accomplir le génocide des Tutsi ? La question mérite d’être posée.
8 – Que dit précisément la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de décembre 1946 ?

Article 2 :

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Par la suite, ces incriminations ont été affinées, notamment par la jurisprudence des tribunaux internationaux mandatés pour instruire des génocides et condamner leurs acteurs principaux. De notoriété publique, le génocide est un « crime d’Etat », car ne pouvant être perpétré sans,

au minimum, l’accord tacite des autorités du pays en cause,
en règle générale, la participation active de l’appareil d’Etat ou de structures parallèles créées pour dissimuler la responsabilité des autorités légales dans une transgression fondamentale de ses devoirs de protection des populations sous sa juridiction.

Les tribunaux internationaux instaurés pour juger des crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda ont forgé et fait évoluer la jurisprudence internationale. Désormais, la pratique massive du viol des femmes peut être considérée comme un crime de génocide, et pas seulement parce qu’elle viserait « à entraver les naissances au sein du groupe ». On le voit dorénavant comme élément d’un faisceau d’actes « génocidaires », c’est à dire « atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ».

9 – La communauté internationale est-elle forcée de prévenir un génocide et à fortiori de réagir à un génocide ?

C’est un principe du droit international qui s’est imposé après l’horreur absolue du nazisme. Dans sa résolution 180 de décembre 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaissaient que « le crime de génocide est un crime international qui comporte des responsabilités d’ordre national et international pour les individus et pour les États ».

En 1994, le président des Etats-Unis Bill Clinton avait interdit à son administration et à ses diplomates d’utiliser le mot « génocide » pendant l’extermination des Tutsi pour ne pas avoir l’obligation d’intervenir ou d’exiger du Conseil de sécurité de l’ONU de dépêcher des forces au Rwanda.

En 2016, cette Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été largement acceptée par la communauté internationale, ratifiée par la grande majorité des États.

La Cour internationale de Justice considère, dans sa jurisprudence, que l’interdiction du génocide est une norme impérative du droit international[xiv]. En outre, la CIJ reconnaît que les principes qui sous-tendent la Convention sont reconnus par les nations civilisées comme ayant force contraignante pour les États, même en l’absence d’obligation découlant d’une convention.

Au 1er janvier 2015, 123 États sur les 193 États membres de l’ONU avaient ratifié le Statut de Rome et accepté l’autorité de la CPI.[xv] En outre, la CIJ reconnaît que les principes qui sous-tendent la Convention sont reconnus par les nations civilisées comme ayant force contraignante pour les États, même en l’absence d’obligation découlant d’une convention. Ainsi, le Burundi est lié par la convention même s’il ne l’a pas ratifiée. Il est soumis à la Cour pénale internationale pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et évidemment crimes de génocide.[xvi] Rappelons que la Cour pénale internationale est une juridiction compétente pour juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre commis à compter de sa création officielle, le 1er juillet 2002.

La Cour internationale de Justice considère, dans sa jurisprudence, que l’interdiction du génocide est une norme impérative du droit international.

10 – La communauté internationale peut-elle avancer que Burundi n’est pas – pas encore – le théâtre d’un génocide ?

C’est un des arguments entendus dans les couloirs des chancelleries et ceux de l’ONU par des diplomates dont les pays cherchent à échapper à leurs responsabilités. En résumé, pour eux « la situation au Burundi est très inquiétante et s’aggrave de jour en jour [difficile de ne pas reconnaître cette évidence…] mais ce n’est pas la Solution finale ». Autant dire : « Attendons que les fanatiques racistes au pouvoir à Bujumbura se mettent à liquider en masse les Tutsi pour envisager une réaction pertinente lorsqu’il n’y aura plus personne ou presque à sauver. »

La journaliste britannique Linda Melvern se trouvait à New York en 1994 pour écrire un livre sur le cinquantième anniversaire de à l’ONU, lorsque explosa le génocide des Tutsi du Rwanda. Elle a entendu les mêmes impostures. Elle a vu en direct les palinodies, l’hypocrisie et les faux semblants de presque tous les représentants des Etats qui se demandaient si c’était bien un génocide[xvii] : « Wait and see ».

Or ce génocide des Tutsi du Rwanda n’a pas débuté le 6 ou le 7 avril 1994, mais bien auparavant, et la commmunauté internationale était informée de ce qui se tramait. « Au moment où la menace de génocide planait sur le pays, la communauté des nations a échoué à proposer un plan d’intervention qui aurait pu l’empêcher, souligne Linda Melvern. Dès son commencement, chacun s’est empressé d’escamoter les informations dont il disposait. Ces atermoiements tissent un acte d’accusation accablant contre les gouvernements et les personnalités qui auraient pu empêcher le pire, mais qui s’en sont abstenus. »[xviii]

Au Rwanda, il s’agissait aussi de « tuer » l’accord de paix d’Arusha

L’organisation Human Rights Watch et la FIDH font le même constat : « A la fin du mois de mars 1994, les dirigeants du Hutu Power étaient déterminés à tuer un nombre considérable de Tutsi et de Hutu opposés à Habyarimana, à la fois pour se débarrasser de ces “complices” et pour ébranler l’accord de paix [d’Arusha]. »[xix]

Ceux qui prétendent, par des analogies simplistes et des références sans fondement, que rien ne permet de dire que le génocide des Tutsi n’a pas commencé au Burundi en ce mois de février 2016 n’ont relu ni la définition du génocide ni la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, ni les commentaires de leurs auteurs : « Le crime de génocide serait reconnu dans ce traité comme un complot visant à annihiler ou affaiblir des groupes d’ordre national, religieux ou racial. La manifestation de ce crime peut s’extérioriser par des attaques contre la vie, la liberté ou la propriété de membres de pareils groupes, et ce, en leur qualité de membres de ce groupe. La caractérisation de ce crime peut se rendre comme suit : « quiconque, tandis qu’il participe à un complot visant la destruction ou l’affaiblissement d’un groupe national, racial ou religieux, commet un attentat contre la vie, la liberté, la propriété de membres d’un tel groupe, est coupable du crime de génocide. »[xx]

Au Rwanda, le génocide avait commencé en 1992

Voici vingt-quatre ans, en 1992 au Rwanda, la persécution de l’Etat et des « organisations parallèles » contre les Tutsi avait atteint un tel niveau qu’une Commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’Homme au Rwanda fut missionnée par de grandes organisations de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch et la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme. La Commission publia son rapport le 8 mars 1993. Elle avait auparavant subi de fortes pressions pour en retirer le mot « génocide » ce qui, jusqu’aujourd’hui, hante les rapporteurs, persuadés que les massacres de Tutsi, les discriminations, les viols dont leur communauté était victime, justifiaient le « mot tabou ».

Confirmant cette analyse, « le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, entreprit une mission au Rwanda en avril 1993. Il présenta, en août 1993, un rapport qui confirmait largement celui de la Commission internationale. Se référant à la possibilité, évoquée par celle-ci, à savoir que le massacre de Tutsi puisse constituer un génocide, le Rapporteur spécial concluait que, selon lui, les massacres constituaient un génocide au terme de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. »[xxi]

Début 1993 au Rwanda, « seulement » quelques 3 000 Tutsi avaient été massacrés, cependant le crime de génocide était déjà constitué. Le reconnaître internationalement et en tirer les conséquences à la fois diplomatiques et militaires aurait permis de sauver un million de vies.

Sauver un million de vies

Avant avril 1994 au Rwanda, « le génocide ne fut pas une machine à tuer qui progressait inexorablement, mais plutôt une campagne durant laquelle les participants furent recrutés durant toute la période, par la menace et des promesses de récompense. Les premiers organisateurs étaient des responsables militaires et administratifs, des responsables politiques, des hommes d’affaires et d’autres individus qui n’avaient aucune fonction officielle. Pour mener le génocide ils devaient s’emparer de l’Etat ce qui impliquait de placer non seulement les personnes de leur choix à la tête du gouvernement, mais aussi de s’assurer la collaboration d’autres responsables à tous les échelons du système. »[xxii]

Laissons une dernière fois la parole à Rafaël Lemkin : « Indépendamment de la responsabilité des individus au génocide, les Etats dans lesquels une pareille politique serait suivie, seraient tenus responsables devant le Conseil de Sécurité des Nations unies. Le Conseil peut requérir au Tribunal international de Justice, de délivrer un avis facultatif, afin de déterminer si un état de génocide existe dans un pays donné, avant de requérir, parmi d’autres, des sanctions à prendre contre le pays concerné. Le Conseil de Sécurité peut agir de par sa propre initiative ou sur la base de pétitions qui lui sont soumises, par des membres des groupes nationaux, religieux ou raciaux intéressés, qu’ils résident ou non dans l’État accusé. »[xxiii]

Jean-François DUPAQUIER
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[i] Rappelons que Hutu et Tutsi ne sont pas des « ethnies », car ils partagent la même langue, le même territoire, la même culture, etc. Pour comprendre les manipulations identitaires ayant conduit à radicaliser les tensions entre ces groupes qu’on peut sommairement qualifier de « socio-politiques », cf. les ouvrages de Jean-Pierre Chrétien, notamment Burundi l’Histoire retrouvée, Paris, Karthala 1993 ; Le défi de l’ethnisme : Rwanda et Burundi, 1990-1996, Paris, Karthala, 1997 ; L’Afrique des grands lacs – Deux Mille Ans d’histoire, Ed. Aubier, 2000 ; Burundi, la fracture identitaire – Logiques de violence et certitudes » ethniques » (avec Melchior Mukuri), Ed. Karthala, 2002 ; Les ethnies ont une histoire (avec Gérard Prunier), Ed. Karthala, 2003 ; Rwanda, racisme et génocide. L’idéologie hamitique (avec Marcel Kabanda), Ed. Belin, 2013.

[ii] Il n’y avait pas de carte d’identité « ethnique » au Burundi, et – en principe – aucun comptage « ethnique » depuis l’indépendance en 1962, à la différence du Rwanda où la mention « ethnique » (Hutu, Tutsi, Pygmée ou Naturalisé) était obligatoire sur les cartes d’identité jusqu’au génocide des Tutsi en 1994

[iii] Quatre-vingt-neuf, selon les autorités.

[iv] Rafaël Lemkin Qu’est-ce qu’un génocide, (présentation par Jean-Louis Panné), Ed. du Rocher, Monaco, 2007, pp. 215-216. Ce livre reprend la traduction française des neuf chapitres théoriques de l’ouvrage de base de Lemkin ainsi que des éléments de son second ouvrage « Crime de génocide », paru en 1946 aux Etats-Unis. A ce sujet en français : La Documentation Française, 24 septembre 1946, Notes Documentaires et Etudes No 417 (Série Textes et Documents. – L), Secrétariat D’Etat a la Présidence du Conseil et a l’Information, Direction de la Documentation 14-16, rue Lord-Byron, Paris (8e), Service d’Information des Crimes de Guerre ; « Le crime de génocide », Revue de Droit International, de Sciences Diplomatiques et Politiques 24 (octobre-décembre 1946), pp. 213-222 ; « Le génocide », Revue Internationale de Droit Pénal 17 (1946), pp. 371-386.

[v] « Toutes ces considérations nous ont amenés à voir la nécessité de créer pour ce concept particulier un terme nouveau, à savoir le génocide. Ce nouveau est formé de deux entités : genos, terme grec, d’un côté, signifiant race ou clan, et cide, suffixe latin, de l’autre, comportant la notion de tuer : ainsi, le terme » génocide » prendra rang dans la famille des termes tyrannicide, homicide, patricide. Le génocide est le crime qui consiste en la destruction de groupes nationaux, raciaux ou religieux. »
Rafaël Lemkin, Qu’est-ce qu’un génocide, op. cit., pp. 243-244.

[vi] Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, Burundi 1972, au bord des génocides, Ed. Karthala, Paris, 2007.

[vii] Voir le résumé de la déclaration d’Adama Dieng sur la radio des Nations Unies :

http://www.unmultimedia.org/radio/french/2015/12/burundi-adama-dieng-met-en-garde-contre-les-risques-dune-guerre-civile-et-ethnique/#.VrbOJCnX87A

[viii] http://www.rfi.fr/afrique/20140813-burundi-il-y-dix-ans-le-massacre-gatumba

A noter : Habimana a été suspendu dans ses fonctions de porte-parole du FNL car soupçonné de collaborer avec le CNDD-FDD ( plus précisément avec Gélase Ndabirabe, porte parole et secrétaire général du CNDD-FDD, un autre incendiaire qui s’est illustre ces derniers mois par ces discours haineux à la radio nationale).

[ix] Rafaël Lemkin op. cit., p. 106.

[x] Voir :

http://www.rfi.fr/afrique/20140912-burundi-est-congo-hommes-armes-imbonerakure-kamerhe

[xi] Assassiné dans des conditions étranges le 1er août 2015.

[xii] Rafaël Lemkin op. cit., pp. 113, 116.

[xiii] Ibidem, p. 118.

[xiv] Voir Réserves à la Convention sur le génocide, 1951 CIJ Rep. 15, 23 ; voir aussi Case Concerning Barcelona Traction, Light and Power Co. (Belgique contre Espagne), 1970 CIJ, Rep. 3, 32.

[xv] Trente-deux États supplémentaires, dont la Russie et les États-Unis d’Amérique, ont signé le Statut de Rome mais ne l’ont pas ratifié. Certains, dont la Chine, l’Inde et Israël, émettent des critiques au sujet de la Cour et n’ont pas signé le Statut.
[xvi] À l’issue de la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unies, le Statut de Rome prévoyant la création de la Cour pénale internationale a été signé le 17 juillet 1998. La Cour a été officiellement créée le 1er juillet 2002, date à laquelle le Statut de Rome est entré en vigueur. Le siège officiel de la Cour est situé à La Haye, (Pays-Bas).

[xvii] Linda Melvern, Complicité de génocide, comment le monde a trahi le Rwanda, traduit de l’anglais par Mehdi Ba, Ed. Karthala, Paris, 2010.

[xviii] Ibidem, p. 17.

[xix] Human Rights Watch et FIDH (coordonné par Alison DesForges), Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. Ed. Karthala, Paris, 1999, p. 10.

[xx] Rafaël Lemkin op. cit., p. 250.

[xxi] Human Rights Watch et FIDH op. cit., p. 15. Voir aussi Jean-François Dupaquier, L’Agenda du génocide, Ed. Karthala, Paris, 2010.

[xxii] Ibidem, p. 11.

[xxiii] Rafaël Lemkin op. cit., p. 251.