Le carnet de Colette Braeckman, in Le Soir, 29 mai 2016. Un an après le putsch manqué du général Godefroid Nyombare, un an après les violentes manifestations qui avaient marqué la réélection du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat jugé contraire aux accords de paix d’Arusha, le Burundi s’est, en quelque sorte, installé dans l’urgence. Certes, les origines du conflit sont plus politiques qu’ethniques, mais, par plusieurs aspects, la situation à Bujumbura rappelle, tragiquement, cet état de « ni guerre ni paix » que connaissait le Rwanda en mars 1994, à la veille du génocide déclenché par l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril.
A l’époque aussi, les réunions se poursuivaient à Arusha, en vue d’aboutir à un hypothétique partage du pouvoir et la pression était mise sur un président Habyarimana pris en otage par les « durs » de son régime. Mais dans le même temps, l’étau se resserrait dans le pays, visant les Tutsis mais éliminant aussi des « modérés » appartenant aux deux ethnies, tandis que les milices Interhahamwe étendaient leur contrôle dans les quartiers.
Aujourd’hui aussi, le Burundi se trouve absorbé, sur le plan politique, par le dialogue initié par l’ancien président tanzanien Benjamin Mkapa et, avec le soutien de l’Union africaine et de l’ONU, la plupart des intervenants ont pris, une fois de plus, le chemin d’Arusha, capitale de la diplomatie africaine. Mais les Burundais de tous bords dénoncent l’impréparation de la réunion, qui n’en est encore qu’aux préliminaires tandis que le Cnared, une coalition qui regroupe la quasi-totalité de l’opposition en exil, n’a pas été invitée en tant que telle…
La réalité sur le terrain est, elle, bien différente de ces gesticulations diplomatiques et de ces querelles de leadership : alors que les principaux chefs de file de l’opposition se trouvent en exil, au Rwanda ou en Europe, des assassinats ciblés se poursuivent à Bujumbura, visant principalement des militaires. Rapelons que l’armée burundaise, où les ex-FAB (forces armées du Burundi) avaient été mixés avec des anciens rebelles revenus du maquis, et où les postes de commandement avaient été partagés entre Hutus et Tutsis dans une proportion de 50/50, avait été considérée comme le principal acquis de la dernière décennie.
Les militaires en avaient été récompensés, car le Burundi était devenu un contributeur important aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, envoyant plus de 8000 hommes en Somalie (Opération Amisom) et en Centrafrique….
Cette armée est aujourd’hui en passe de devenir elle-même un champ de bataille : déjà ébranlée par la rébellion du général Nyombare voici un an, l’armée est visée par des assassinats ciblés. Des officiers considérés comme « modérés » tels le général Kararuza, qui avait dirigé les opérations de l’ONU en Centrafrique, a été assassiné voici trois semaines, ainsi que son garde du corps, sa femme et sa fille, d’autres officiers ont disparus ou ont été éliminés, tous se sentent aujourd’hui menacés. Les coups peuvent venir des extrémistes du régime mais aussi de la rébellion qui considère ces « loyalistes » come des traîtres…
En outre, les membres des ex-FAB, (l’ancienne armée nationale) qui représentaient une garantie de sécurité pour les Tutsis, sont désormais envoyés en cantonnement dans des camps reculés tandis que les armes lourdes et les munitions leur ont été retirées. A Bujumbura, ces militaires de l’armée régulière sont progressivement remplacés par des policiers acquis au régime mais surtout par des miliciens Imbonerakure, ces groupes de jeunes formés sur le modèle des Interhahamwe au Rwanda. Ces derniers collaborent d’ailleurs avec des FDLR (les miliciens hutus rwandais qui se trouvent toujours au Kivu et ont traversé la frontière pour prêter main forte aux extrémistes du pays voisin).
Ces jeunes militants extrémistes sont aujourd’hui déployés dans les quartiers de Bujumbura où, avec l’appui des pouvoirs locaux, ils multiplient intimidations et démonstrations de force.
Comme si le scenario rwandais de 1994 se calquait inexorablement sur le Burundi de 2016, il est facile d’imaginer le pire : si la rébellion, opérant depuis le Rwanda, passait à l’action dans la capitale, décidant d’en finir avec le régime sinon avec le président, ces miliciens pourraient passer à l’action dans les quartiers, ciblant les civils tutsis déjà repérés. Les familles des officiers tutsis des ex FAB représenteraient des cibles de choix : bénéficiant d’un système « location vente », elles ont été regroupées dans des quartiers faciles à identifier et sont aujourd’hui dépourvues de toute protection.
Comme au Rwanda en 1994, une vague d’assassinats pourrait prendre de vitesse la progression de la rébellion et, toujours comme à Kigali, les Hutus “modérés” représenteraient eux aussi des cibles, ce qui contribuerait à brouiller les pistes.
Alors qu’au Rwanda, une force de paix de l’ONU se trouvait sur place, mais se révéla inefficace, au Burundi la communauté internationale est totalement absente : l’Union africaine et la Communauté est africaine sont impuissantes, le Conseil de sécurité de l’ONU est divisé entre une France ambigüe, la Russie et la Chine qui bloquent toute possibilité d’intervention…
Seules les organisations humanitaires peaufinent, depuis la Tanzanie et le Congo, leurs plans d’urgence et le Haut Commissariat aux réfugiés prépare, à toutes fins utiles, un camp au Sud Kivu, qui pourrait accueillir quelque 250.000 Burundais…