Une année après le putsch constitutionnel opéré par M. Nkurunziza, en briguant un 3ème mandat qui violait l’Accord d’Arusha et la Constitution du Burundi, il vient d’adresser un message à la Nation et à la Communauté internationale, ce 20 Août 2016, jour anniversaire de sa prestation de serment. Malgré le dépit que j’éprouve souvent à écouter ou à lire les propos de M. Nkurunziza, parce que toujours pleins de mensonges, de manipulations et de menaces indignes d’un homme d’Etat, je me suis senti dans l’obligation morale et intellectuelle d’en faire une modeste analyse personnelle, en tant qu’observateur et homme politique, que je souhaite partager avec les autres Burundais ou pas.
- L’inopportunité d’un discours vide de contenu
- NKURUNZIZA vient de passer 11 ans à la tête du pays. Est-ce qu’un président normal doit toujours adresser un discours à son peuple à chaque jour- anniversaire de sa prestation de serment ? Sous d’autres cieux, la réponse est non. A la limite, ce qui aurait pu avoir un sens, c’est un message à l’occasion de l’anniversaire de sa « pseudo-victoire » aux présidentielles de 2015. Mais comme il sait que c’est une victoire à la Pyrrhus et une victoire personnelle, liée à sa soif jamais inassouvie du pouvoir, il a choisi une date inappropriée.
- Aujourd’hui, il sait que c’est un faux anniversaire, de triste mémoire aux yeux de bon nombre de Burundais et de la communauté internationale. Il tente désespérément de se légitimer, mais cela sonne faux dans les oreilles de beaucoup d’entre nous, y compris dans ses propres oreilles et rangs, car c’est discours vide, démagogique, sans aucune substance, sans aucun bilan tant soit peu positif, ni sur le plan politique, ni économique, ni social.
- Une vision messianique du pouvoir
- Comme à son accoutumée, il tente de se faire légitimer en invoquant une mission divine dont il serait investi pour diriger à tout jamais le Burundi, y compris contre la volonté du peuple. Dans son discours, le mot Dieu, le Tout Puissant ou à sa référence, revient au moins 23 fois. Pour lui, s’il est au pouvoir, « c’est grâce à Dieu Tout Puissant, qui l’a voulu et qui a accompli sa promesse ».Tant pis pour ceux qui pensent l’avoir un jour élu.
- Bien plus, ceux qui s’opposent à son régime, ce qui constitue sous d’autres cieux, un des principes sacro saints d’une véritable démocratie, s’opposent à la volonté de Dieu et seront par conséquent châtiés par lui. Ne dit-il pas en effet, que quiconque s’opposera à lui « aura affaire à Dieu lui-même et que des malheurs s’abattront sur lui par surprise et que personne ne pourra lui venir en aide». Malheur aux opposants. Pitié pour eux Seigneur Dieu !
- Le peuple burundais et même la communauté internationale devraient donc tirer les leçons d’une telle conception du pouvoir politique et comprendre pourquoi M. Nkurunziza se moque éperdument du monde entier et nargue tout le monde. Ni le désaveu, ni les pressions, ni les sanctions émanant de son peuple ou de qui que soit d’autre ne pourront jamais l’ébranler, tant que « son petit dieu à lui », veillera sur lui. Mais, jusque quand ???
- Une vision dichotomique et manichéenne de la société burundaise
- A travers son discours, il tend à opposer et à catégoriser les Burundais en deux camps : d’un côté « les bons » qui le soutiennent, l’applaudissent et le vénèrent ; de l’autre « les mauvais » qui s’opposent à son pouvoir de droit divin et qui seront châtiés pour « leur témérité », comme dans la fable de La Fontaine, Le loup et l’agneau.
- Plusieurs passages de son discours en constituent un témoignage éloquent : « il félicite d’abord ceux qui l’ont élu pour leur victoire »et leur promet moult récompenses. Ensuite, ceux qui ont refusé la violation de l’Accord d’Arusha et de la Constitution et boycotté cette parodie électorale sont traités « d’ennemis du peuple burundais qui ne rêvent que de replonger le Burundi dans les larmes, la désolation, les tueries et l’exil ».
- En clair, M. Nkurunziza affirme sans ambages que les tueries, les violations massives et multiformes des droits de l’homme ainsi que les centaines de milliers d’exilés sont le fait de ces braves jeunes, femmes et hommes, Hutu et Tutsi qui ont refusé la mascarade électorale.
- Pour les premiers, il demande que le Bon Dieu les récompense au quintuple. Pour les autres, il implore un châtiment exemplaire. Quel bon pasteur !
- Au niveau des personnels des média, il y a aussi « des femmes et des hommes qui sont restés fidèles à l’éthique et à la déontologie professionnelle» et qui sont les seuls (c’est moi qui souligne), « à diffuser une information réelle et rassurante ». Entendez par là la Radiotélévision Nationale et REMA FM qui « ont toujours produit des démentis », donc qui ont dit « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité » selon M. Nkurunziza. A côté de ces premiers, il y a les non professionnels, les incompétents et sans aucune éthique ni déontologie, qui ont osé dire que « la situation était préoccupante au Burundi ».
- Heureusement que « même dans la bouche d’un menteur, la vérité reste la vérité », comme le disait Feu Nicolas MAYUGI. Effectivement, ces journalistes ont dit que la situation politico- sécuritaire était plus que critique et ils continuent à le dire, et c’est malheureusement la triste réalité. Hélas, ils ont payé un lourd tribut comme d’aucuns le savent : certains y ont laissé leur vie, leurs stations radio détruites, des centaines de journalistes exilés, etc.
- Un discours plein de duplicité, de contradictions et de contrevérités
- Dans sa duplicité qui fait partie de sa personnalité de base, M. Nkurunziza clame haut et fort que « la paix a régné avant, pendant et après les élections et qu’elle règne toujours sur tout le territoire national ». Mais il s’empresse d’ajouter aussitôt que « les policiers et les militaires ont réussi à arrêter les manifestants, l’insurrection et les tueries et qu’ils ont ramené la paix et la sécurité, avant qu’il ne soit trop tard ».Quoi prendre dans tout cela ?
- Il ajoute sans sourciller que les élections ont été « libres, démocratiques», mais en même temps, reconnaît que « ceux qui ont pris part aux élections ont dû braver des peurs liées à des rumeurs. Il ajoute aussi qu’ « il remercie les forces de sécurité qui ont protégé les élections et la démocratie qui étaient menacées ».
- Dans ses mensonges pathologiques, nous notons qu’Il se monte quand même quelque peu gêné quand il parle de la position des organisations internationales. En effet dit-il, « ils sont restés aux côtés du Burundi, dans ces moments difficiles (c’est moi qui souligne encore), et ont montré clairement leur position ». Mais il se garde de préciser laquelle.
- Comme il sait que celles-ci ont dit clairement que ces scrutins ne répondaient à aucune norme électorale et que par conséquent ils étaient non crédibles, il s’en prend aussitôt à cette communauté internationale : « nous dénonçons et condamnons sévèrement ceux qui ont soutenu l’ennemi qui voulait mettre l’édifice burundais par terre, pour replonger le pays dans le noir ». Une autre façon de nous rappeler sa vision messianique du pouvoir, comme si sa non-réélection signifierait la fin du Burundi, comme s’il était cet édifice lui-même.
- En même temps qu’il affirme qu’il a juré de travailler pour tout le monde, y compris pour ceux qui ne l’ont pas élu, il n’hésite pas à dire que ces derniers subiront sans pitié ni pardon, les courroux de son « cher petit dieu ».
- Un discours qui traduit une certaine « illusion de domination »
- Convaincu qu’il est investi d’un pouvoir de droit divin, M. Nkurunziza se donne l’illusion d’ être un président-pasteur illuminé, populaire, aimé de la population, un libérateur « du peuple hutu », comme il le dit, qui inspire du respect, ou à défaut qui est craint.
- Comme le disait NIETZSCHE, le langage de M. Nkurunziza induit beaucoup de Burundais en « erreur et génère l’illusion» qu’ils ont le président taillé sur mesure ; ce qui le grise dans sa recherche quasi maladive d’un pouvoir fort, à vie. Cette conviction erronée aiguise davantage sa soif inassouvie d’accumulation de l’avoir et des biens matériels, qui constituent une des sources de ses illusions qui le plongent et le font vivre dans un monde autistique.
- Le stade qui suit toujours, chez ce type de dirigeants, c’est la dictature, l’oppression du peuple et la répression de toute voix dissonante qui met à nue son vrai visage démoniaque. Du coup, il se sent démystifié, fragilisé ; ce qui le pousse à se singulariser davantage par sa violence réelle ou symbolique, sa démagogie et son refus de voir la réalité en face. L’illusion de domination se trouve ainsi renforcée par la peur qu’il inspire et qu’il incarne.
- Une mention particulière a été réservée aux responsables de la mascarade électorales de 2015 et des violences qui l’ont émaillée
- Comme pour innocenter et laver de tout soupçon ceux-là qui lui ont facilité sa réélection tout aussi illégale qu’illégitime, il leur réserve une mention spéciale. Il félicite notamment la Commission Electorale Nationale Indépendante(CENI) pour « le travail de qualité » réalisé dans la préparation de ces pseudo élections, en occultant que la Vice –Présidente et une autre Commissaire ont dû démissionner pour ne pas cautionner cette parodie électorale.
- Il n’oublie pas d’encenser la Cour constitutionnelle qui selon lui, « a dit le droit, tel qu’il est». Mais par un mécanisme de défense appelé dénégation, il ajoute qu’ « ils ont refusé de suivre les instigations et de se laisser prendre aux promesses leur faites par certains politiciens et partis politiques ». Pour qui a lu les révélations du Vice- président de cette Cour, il comprend pourquoi M. Nkurunziza dit cela. Quelle autre formation politique pouvait-elle faire des promesses à cette Cour, qu’elle ne gère pas, qu’elle n’a pas nommée et sans être sûre de tenir sa promesse, car n’étant pas assurée d’être élue, si ce n’est le CNDD-FDD ? Les corps de défense et de sécurité, appuyés par les Imbonerakure, qui ont maté les manifestants dans le sang, sont chaleureusement aussi congratulés et encouragés.
- Un message clair à noter quand même
- Dans son discours, il y a néanmoins un message clair de M. Nkurunziza qui répond à la mission qu’il s’est assignée depuis son accession au sommet de l’Etat, à savoir : l’enterrement de l’Accord d’Arusha, mais qui n’est pas une fin en soi. Son double objectif étant in fine de se maintenir au pouvoir à vie et de commettre un génocide pour se débarrasser définitivement des Tutsi d’abord et ensuite des Hutu qui croient aux Accords d’Arusha.
- Il a en effet annoncé qu’il va amender sous peu la Constitution suite au rapport manipulé que la CNDI vient de lui remettre. Il dit en substance que « le peuple veut voir changer la Constitution et signer un pacte entre les composantes sociales ».
- Pour moi, le message est clair : revoir la Constitution pour supprimer les mandats et remettre en cause les quotas consacrés par l’Accord d’Arusha au niveau du partage du pouvoir entre Hutu et Tutsi au niveau de certains postes sensibles de responsabilités. Le rapport qui vient d’être rendu public par le Président de la CNDI, en constitue une confirmation parfaite. Que ceux qui en doutaient encore se rendent à l’évidence.
- Conclusion
Nous pourrions poursuivre l’analyse, mais tirons une petite conclusion.
- Pierre BOURDIEU disait : « En mettant l’accent sur les faits divers, en remplissant ce temps rare avec du vide, du rien ou du presque rien, on écarte des informations pertinentes que devrait posséder le citoyen pour exercer ses droits démocratiques». En effet, M. NKurunziza a érigé le mensonge, la déformation des faits en mode de gouvernement, des menaces au peuple burundais, à travers des discours populistes servis à tout bout de champs, comme si le peuple burundais est incapable de discernement ; ce qui constitue un mépris envers lui.
- Pour M. Nkurunrziza, c’est une façon de cacher sa médiocrité, de faire un travail de légitimation pour faire oublier l’illégalité de son pouvoir. Il cherche une sorte de reconnaissance à travers une méconnaissance de son arbitraire, de ses crimes par la création d’une forme de cécité populaire, en voulant maintenir le peuple dans l’ignorance et par la promotion d’une classe dirigeante médiocre, incapable de tout discernement.
- Nkurunziza demande au peuple burundais de « faire nécessité vertu », c’est-à-dire d’apprendre à se refuser soi-même, ce que de toute façon le pouvoir lui refuse, à savoir sa liberté, ses droits civils et politiques, bref sa dignité.
- Nkurunziza, et c’est même dit dans les Saintes Ecritures, pratique une politique que Dieu, le Vrai Dieu condamne, car c’est une politique qui est source de corruption, de misère, de tueries, d’emprisonnements, d’exil de ses citoyens. Mais qu’il sache que tôt ou tard cette politique sera pour lui source de malheurs et de déshonneur. Et ce temps est proche.
- Nous, les dirigeants de l’opposition et les autres forces vives de la Nation, avons le devoir et l’obligation de « désillusionner » ce peuple pris en otage par ce pouvoir ivre de sang.
- Pour cela, nous devons développer une lucidité critique, témoigner une force irrépréhensible des inclinations à accepter facilement ce jeu diabolique et machiavélique que M. Nkurunziza et son système veulent imposer aux Burundais et au monde.
- Nous devons comprendre et faire comprendre aux Burundais qu’il n’y a pas de fatalité, encore moins la main de Dieu, du Vrai Dieu, dans les malheurs que M. Nkurunziza et son oligarchie font endurer à ce peuple meurtri, humilié, trahi, violé au plus profond.
- Nous devons refuser d’être dupes en refusant d’être complices par notre silence ou notre manque de lucidité, en étant plus solidaires et en mettant de côté nos ego ou nos ambitions personnelles pour nous focaliser sur un seul objectif prioritaire, le seul qui vaille la peine .
Nous devons rapidement nous organiser pour libérer le peuple burundais en imposant au dictateur de Bujumbura la voie du dialogue qu’il vient de reléguer aux oubliettes. Si ce chemin échoue, tous moyens seront bons et autorisés pour le mettre hors d’état de nuire. - Nous devons nous engager tous et nous convaincre mutuellement que cette œuvre salvatrice ne sera, ni celle de la Sous-région, ni celle de l’UA, ni de l’ONU, mais bel et bien celle des dignes fils et filles du Burundi. Comme l’a dit un grand homme politique : « Quand un peuple ne défend plus ses libertés et ses droits, il devient mûr pour l’esclavage ». Nous avons l’obligation d’aider, de mobiliser, éduquer et d’organiser le peuple à faire le bon choix : « kuva mu buja bwa Nkurunziza ». Et c’est urgent, car demain il sera trop.
Par Pr. Charles NDITIJE, Président de l’UPRONA