DES MOTS AUX MAUX : Une analyse sémiotique du langage du Parti CNDD-FDD (Suite 3 et fin)

Par Sébastien Ntahongendera ; poète et poéticien

3. Des mots assassins aux assassins

Les régimes auxquels le CNDD-FDD a succédé  n’étaient pas exempts de crimes ; personne ne peut le nier. Il est même permis d’affirmer qu’en termes de quantité, il n’y a pas de commune mesure entre les crimes commis par certains régimes du passé et ceux imputés au CNDD-FDD. Mais tel est, justement, un faux débat ! Et sur ce, j’ai 3 considérations à émettre :

D’abord, en matière de jugement des crimes, la quantité importe peu. Toute comparaison arithmétique  de ce point de vue est même indécente, d’autant plus que même l’assassinat d’une seule personne par les agents et la logistique de l’Etat suffit à soulever tous les foudres contre le régime en place !

Et puis, un régime qui massacre en moins de 2 ans au moins 3000 personnes à l’ère de l’internet et autres twitter n’est pas mieux que celui qui en a éliminé 300.000 en 3 mois à l’époque où c’était facile de massacrer les gens ni vu ni connu ! Dans un ordre d’idée voisin, je vous fais remarquer que massacrer en 2 ans  3000 personnes sur une population burundaise (≈12 millions)  équivaut, par exemple, à en massacrer 20.000 dans un pays comme l’Allemagne ! Et après,  c’est pour demander aux Burundais de vénérer leur « très cher Président fondateur bien aimé », son Excellentissime Révérend Pasteur Président Pierre Nkurunziza ; de le laisser les gouverner in aeternam !   Imaginez-vous, par exemple, le sort qui serait celui d’un Chancelier allemand si 20.000 Allemands se faisaient massacrer endéans deux ans !

Enfin, faut-il qu’on le touche du doigt et à mains dégantées, la forme que prennent certains crimes imputés au parti ayant la machette  dans son logo dépasse de loin les frontières de ce qu’un humain soit en mesure de s’imaginer ! Et ce vocabulaire lugubre devenu la stylistique de prédilection dans la communication D-D ne saurait être déliée de la forme que prennent ces crimes.

Mon objectif n’est pas de faire l’inventaire des crimes commis par les D-D ; j’y passerais le reste de mes jours. Je tiens seulement à en évaluer le degré de corrélation avec leur langage. C’est pourquoi je ferai un aperçu, donc à titre seulement illustratif, de quelques crimes aux formes carrément inédites :

– En province de Muyinga en 2007, plusieurs dizaines de jeunes bipĭnga, tous hutu, bărapînguwe bámeshwe : leurs corps sans vie et copieusement ligotés seront retrouvés dans le fleuve Ruvubu qui les avait copieusement « lessivés », excusez du peu !  Tous Hutu vous dis-je ! Et après, c’est pour nous chanter que le régime de Nkurunziza est un havre de paix pour les Hutu ! Mon œil !

– En date du 13-11-2011, Léandre Bukuru, un militant du Parti MSD,  a été arrêté à Gitega et emmené par des policiers. Le lendemain, c’est son corps sans vie mais aussi et surtout sans tête qui sera retrouvé à Giheta, une dizaine de kilomètres du lieu de son enlèvement. Quant à sa tête, elle sera, plus tard, retrouvée dans un trou de toilette, dans l’enceinte de l’église d’une des centaines de sectes, ces sectes qui, soit dit en passant, constituent au Burundi un autre fléau et non des moindres. Kuguba, c’est ça ! Un tigre l’aurait mieux tué !

– En novembre 2015, un corps dont on avait fait ablation du cœur a été retrouvé à Mutakura. Du jamais vu au Burundi ! Les Islamistes  n’ont rien fait ! Quelques mois plus tard, dans le même quartier, un homme sera enlevé par les agents de la Gestapo, plutôt, du SNR. Quelques semaines plus tard, ses bourreaux apporteront nuitamment sa tête pour la déposer au seuil de la porte de sa famille. Même les nazis n’ont pas fait montre d’un tel sadisme.  Le passé burundais a connu pire en effectifs. Mais en forme, je n’ai pas en mémoire l’équivalent ! Gushirira, kuguba, c’est notamment ça !

– En date du 13-10-2015, le journaliste Benoît Nkezabahizi rentre tranquillement du boulot. Plus que ces tigres qui, eux au moins, tuent seulement un gibier pour leur faim du moment, les « tigres » de la « Gestapo burundaise » ont décimé toute la famille Nkezabahizi, donc le journaliste en question, son épouse Alice Niyonzima, leur fille de 16 ans et leur garçon de 14 ans. Même sous Micombero pourtant donné pour un Hitler burundais dans la mémoire collective hutu, les assassins emportaient les papas ; les mamans et les petits étaient épargnés ! Aujourd’hui c’est « zirye » (bouffez-les) ; « rye n’ízirí mu magí » (mangez même ceux qui sont encore dans les œufs !).

– Le 26-04-2016, un sort quasi similaire a été réservé à la famille du  général Kararuza : en plein jour, le Général et son épouse seront assassinés, dans la rue comme un couple de chiens enragés, alors que leur fille qu’ils déposaient au Lycée Saint-Esprit sera  grièvement blessée.

– Le sous-lieutenant Niyongera était incarcéré dans les geôles du SNR. Un agent a attaché un explosif à ses testicules. Après un long interrogatoire dans ses conditions, il a fait exploser l’engin. Vous comprenez la suite !

– Aucun Burundais n’oubliera les trois nonnes d’origine italienne, dont la plus moins âgée avait 75 ans. En date du 7 septembre 2014 dans un couvant de Kamenge dans le nord de la capitale burundaise,  sœur Lucie, 75 ans, sœur Bernadette, 79 ans et sœur Olga, 83 ans ont été violées par des hommes non « identifiables » avant d’être massacrées. L’histoire burundaise de la violence ne connait pas d’équivalent !

– Dans la nuit du 12 au 13 novembre 2015, le camp militaire Muha, dans le sud de la capitale, est attaqué par des hommes en armes. En représailles, ce sont les domiciles de tous les opposants politiques ou assimilés des quartiers Bwiza et Nyakabiga qui seront visités. On déplorera une centaine de civils tués ! Selon Skye Wheeler, chercheuse sur les situations d’urgence auprès de la division Droits des femmes de Human Rights Watch,  « des agresseurs de la ligue des jeunes du parti au pouvoir au Burundi ont ligoté, sauvagement battu, et violé collectivement des femmes, souvent alors même que leurs enfants se trouvaient à proximité ».  C’est moi qui souligne. Je me demande ce que deviendront ces pauvres enfants !

– Comme suite de la mascarade d’attaque du camp de Mukoni à Muyinga (dans la nuit  du 23 au 24 janvier 2017),  la torture infligée aux présumés assaillants est allée jusqu’à les forcer à manger leurs matières fécales.  Dans la même foulée, Gérard Ndayisenga, commissaire du SNR en province Muyinga, a exhibé la tête coupée de l’Adjudant François Nkurunziza devant les yeux des autres soldats détenus dans les cachots de la mort !  Allez me prouver s’il reste en lui une once d’instinct humain !

– Fin juillet 2017,  un corps sans vie flottait  dans la rivière Ndurumu. Il sera repêché au niveau du village Butwana de la commune Giharo en province Rutana, dans le sud du pays. Un corps sans vie ?  Cela n’est plus de l’info au Burundi. L’info peut-être, c’est que ce corps avait été amputé de sa tête qu’on ne reverra certainement jamais !

– En datte du 01-08-2017, les habitants du secteur Ruce en commune Rugombo de la province Cibitoke identifiaient dans la rivière Ruhwa deux corps  ligotés en état de décomposition très avancée. Avant les « shirira », je n’ai pas en mémoire les supplices de cette forme !

– En commune Mugina de la même province, il n’y avait pas plus d’une semaine que 6 corps sans vie étaient identifiés par les habitants, flottant sur la rivière Ruhwa. L’administrateur de la commune Mugina en personne s’est opposé catégoriquement à toute tentative de renflouement de ses corps pour d’éventuelles identifications et inhumations dignes. Et c’est un élu du peuple s’il vous plait !

– Le 07-08-2017, un corps décapité a été retrouvé dans la rivière Nkaka tout près de la route Ngozi-Muyinga.

– En date du 19-08-2017, un corps sans vie d’une femme, bras noués, retournés dans le dos et ligotés,  dénudé, a été retrouvé  sous le pont de la rivière Jiji  en commune Songa de la province Bururi.  Les frontières entre l’homme et l’animal se sont déjà brouillées.  Au pays des mille et une fausses communes, « le loup ne vit plus dans le bois », comme disait le chanteur ; une nouvelle espèce d’hommes est en train d’y naître. Car si c’est tuer les gens, ailleurs aussi et aux autres époques, on les tue et on les a tués. Mais, je ne sais pas si vous vous représentez ce que cela veut dire exposer un corps nu d’une femme à la merci des yeux des passants, des fauves et de toutes les intempéries, sans qu’aucune autorité de haut rang ne lève le petit doigt ne serait-ce que pour la forme, pour déplorer ce crime !

– Dans la seule dernière semaine du mois d’août  2017, au moins 10 corps sans vie ont été retrouvés soit dans les rivières, soit dans les brousses.  Il y a, notamment, ceux d’un fœtus de 7 mois et d’Aline Harerimana sa mère de 21 ans. Leurs corps ont été retrouvés dans une rivière, en état avancée de décomposition, en commune Taba de la province Gitega. Pour toute action contre les auteurs de ces crimes, « la police a déjà commencé les enquêtes » ! Autant en emporte le vent ; aucun résultat des enquêtes annoncées par la police burundaise  n’a jamais été porté à la connaissance du public. Le seul résultat attendu, c’est qu’il n’y en aura jamais !

– Dans la nuit du 23 au 24 août, Olivier Irankunda rentre de ses  petits jobs  de survivance.  La nuit l’attrape en cours de route. Par peur de se faire agresser par les imbonerakure qui se sont donné le rôle de policiers-gardiens de nuit à travers tout le pays, il prend l’option de gîter chez quelqu’un, dans le village de Bitare, en commune Bugendana de la Province Gitega.  Et il ne va pas toquer à n’importe quel portail ; il se rend chez le chef du village. Certainement qu’il se disait : «  Un chef de village, c’est toute la sagesse et la noblesse réunies : non seulement il ne me refusera pas l’hospitalité pour juste une nuit, mais aussi rien de grave ne pourra m’arriver sous son toit ».
C’était oublié qu’être seulement soupçonné de ne pas être du « système » vous vaut la pendaison ! L’accusant d’être manēko le mouchard, c’est, tenez-vous bien sur votre chaise,  Leonidas Niragira le même chef du village qui le livrera à une horde d’imbonerakure. Il sera rossé de coups jusqu’à ce que mort s’en suive, sur le champ !  J’espère que vous n’allez pas perdre votre temps à me demander si ce chef de village ainsi que ses sbires ont été poursuivis par une quelconque juridiction !

– Le 27-08-2017, c’est le corps de Bonheur Igirukwishaka(25 ans), qui sera retrouvé sur  la colline Rukana de la comme Rugombo en province Cibitoke. Il a été tué par une meute de 5 imbonerakure.

– Le 04-09-2017, le corps d’Elisabeth Nyandwi, 65 ans, a été retrouvé  dans une rivière, donc déjà « lessivé », en commune Muruta de la province Kayanza.

– Le 06-09-2017, un corps ligoté, sans vie, d’un jeune homme, a été repêché dans la rivière Ruvubu, au niveau de la commune Muhanga en province Kayanza.

– Le 12-09-2017, l’opposant Léopold Habarugira a été kidnappé en plein jour,  dans la rue. Ce n’est pas pour décourager les siens ; loin s’en faut ;  mais je crois qu’ils peuvent déjà envisager le deuil !

Tout cela se passe au pays où, depuis les cimes du pouvoir où ils sont perchés, certains n’arrêtent pas de chanter, sadiques comme le cancer, que la paix et la sécurité au Burundi ont même dépassé les limites : « Les exilés ont fui devant la paix, la sécurité ou les rumeurs ; ce sont des ivyangazi les enfants prodigues ; les parents qui les ont laissés partir errer à l’étranger sont des irresponsables », disait notamment, dans une croisade-retraite de délivrance spirituelle devant des milliers de guenilleux, la Première Dame !

Et comme pour conférer au concept « lessiver » une sémantique conséquente, ce sont les lacs, les fleuves et les rivières qui sont devenus les cimetières. Eh oui ! Quand ils disent « tuzōbamesa » (on va vous lessiver), il faut être un mouton suffisamment crétin pour prendre leurs propos comme de vulgaires hâbleries ! Ils savent de quoi ils parlent ! Selon Pierre Claver Mbonimpa le président de la ligue Aprodeh, sur les quelques 45 cas d’assassinats qui se font recenser  chaque mois, la plupart des corps se découvrent flottant sur les différents cours d’eau.

Le moins que l’on puisse dire, au Burundi, la parole qui sème la mort a rarement été aussi fructueuse ! Par un matraquage apologétique du crime, le « Système » est parvenu à faire comprendre aux imbonerakure que tuer, piller, violer et torturer rentrent dans l’ordre naturel des choses, voire dans l’échelle des valeurs : on chante à tue-tête le crime, on le fait chanter y compris aux gamins, on le poétise, on le banalise, on le met en musique, plutôt en pratique ; « on tue et on s’habitue », comme dirait Béart.

En guise de conclusion, face à cette prédation idéologique, j’en appelle à la responsabilité de tous et de chacun. Ces jeunes à qui on inocule à volonté le virus de la haine et de la violence, ce ne sont pas des extra-terrestres. Ce sont nos frères, ce sont nos cousins, ce sont nos oncles, ce sont nos enfants, ce sont nos petits-enfants. Nous devons leur apprendre que la haine n’a jamais développé un pays. Je ne suis certain qu’ils en sont informés ! Je suis convaincu qu’ils sont plus des victimes qu’ils ne sont des bourreaux. On ne nait pas bourreau. « Akĭshwe karapfá », comme le dit si la sagesse burundaise ; ce que l’on tue meurt. Notre jeunesse est en passe de trépasser ! Le Burundi a besoin de leur bras, de leurs cerveaux et non de leur pulsion génocidaire ; nous le voulons forts et non fous ! Forts en construction et non en destruction !
Singulièrement, je lance un appel vibrant aux mamans de ces jeunes. Mamans, en vérité je vous le dis : cette jeunesse que le « Système » est en train de transformer en assassins de carrière,  en violeurs professionnels etc., demain, c’est à vos filles qu’elle s’en prendra ; c’est à vous-même qu’elle s’en prendra ! Il faut que vous réenfantiez vos enfants. Oui ; vous le pouvez ! « Même le fou ne frappe pas sa maman », disent les Burundais. Dites-leur quelque chose ; détournez-les de cette voie de la perdition ; demain ce sera trop tard !

J’en appelle aussi à l’autorité morale et spirituelle. Ces imbonerakure s’appellent Luc, Josué, Ahmed, etc. Ce ne sont pas des païens ; ce ne sont pas des cafres. Evêques, bishops, imams, où êtes-vous ? Parmi ces foules qui remplissent vos églises, vos temples et vos mosquées, il y a des imbonerakure. Parlez-leur ! Dans le cas contraire, nous allons finir par croire que le Dieu que vous nous prêchez est un faux Dieu ! Epaulez les parents ; détruisez dans les organismes spirituels de vos ouailles ces molécules haineuses qui ont génétiquement modifié la race humaine burundaise ! Eh oui ! La race humaine burundaise est en train de subir des mutations génétiques ; on ne peut expliquer autrement le sang froid avec lequel des êtres humains peuvent égorger d’autres êtres humains, et ce dans le mutisme total de toute la population, de toutes  les corporations, de tous les corps sociaux !

Je m’en voudrais de clore cette étude de la parole sans lancer un appel aux artistes maîtres de la parole. Ecrivains burundais et amis du Burundi, surtout  vous jeunes romanciers de renom tels que Rugero et autres Faye, chanteurs, poètes, slameurs, rappeurs…, oui,  vous êtes capables !  Par votre capacité de conférer aux mots le pouvoir alchimique de faire pleurer ou de faire rie, de détruire ou de construire…, vous êtes des créateurs ; vous êtes en mesure de si pas créer un monde meilleur, du moins de le suggérer, de l’aiguillonner, d’en jeter les bases. Parlez à vos frères et autres cousins imbonerakure !

Tous à l’unissons donc,  montrons et démontrons à la jeunesse burundaise qu’il est plus facile d’aimer que de haïr. Aux mots qui disent les maux, donc qui les créent, opposons les mots qui soignent les maux !

FIN