Par Sébastien Ntahongendera ; poète et poéticien
(Suite 2)
2.2. Appels publics à la haine et à l’extermination des opposants
Au Burundi, quand vous avez choisi le métier de politicien, vous êtes CNDD-FDD ou un cadavre en sursis. Et les Burundais ont été tellement conditionnés par ce monopartisme que quand quelqu’un vient du Burundi et qu’il veut vous convaincre que là-bas tout va bien, il vous dit : « Vraiment hameze nêzá, tâha ! Utágira politique ntâ na kímwe bakugirá ; utári umu opposant ntâ hantu haryōshé nkó mu Burǔndi » (vraiment c’est bon là-bas, rapatrie-toi ! Si tu ne fais pas la politique, ils ne te font rien. Si tu n’es pas opposant, il n’y a pas un pays où il fait bon vivre comme au Burundi)!
Voilà où nous en sommes ! Comme si faire le métier de politicien au Burundi n’était pas un droit ! Comme si c’était naturellement compréhensible, logique et légal de devoir renoncer à la politique de son choix pour être autorisé à vivre dans ton propre pays ! Eh oui ! D-D ou cadavre ! Encore faut-il que même ton cadavre soit retrouvé ! Et c’est le Président Pierre Nkurunziza qui, en personne, publiquement, solennellement et officiellement, a donné le mot d’ordre :
« Bazōhera nk’ífu y’ímījīra » (ils périront comme de la poudre qu’on distille dans le vent).
Il n’est pas besoin d’être éminent sémioticien pour comprendre que les mots « poudre » et « distiller » renferment en leurs seins tout au moins le sème « facilité dans la liquidation » ! La poudre, c’est ce qui a été broyé, écrasé, moulu, afin d’être malaxé, pétri. Un Président de la République qui réduit ses propres citoyens à une poudre qu’on pulvérise dans le vent ! C’est lui ; c’est Mutāma le « Sage », le « Vieux-père », comme l’appellent affectueusement ses thuriféraires ; c’est le Révérend Pasteur Président sa Majesté Pierre Nkurunziza 1er !
Pour jauger encore mieux la profondeur de l’appel à la liquidation des opposants, examinons de plus près les deux concepts : « igipĭnga » et « gupingūra ».
Respectivement « substantif » et « verbe», les deux unités sémiques sont bâties autour du même lexème « ping », un radical du verbe d’origine swahili « kupinza » qui signifie « contrarier ».
Ainsi, « igipĭnga » se trouve être l’autre appellation D-D de « opposant ». Et quand les miliciens imbonerakure vous traitent d’« igipĭnga » ou vous étiquettent comme tel, si vous aimez votre vie, il vaut mieux quitter le pays toutes affaires cessantes ! En fait, « igipĭnga » dépasse de loin la seule désignation de l’opposant ; c’est un appel implicite à votre liquidation ! D’ailleurs, ils ajoutent : « Ni ukugipingūra » (on va lui arracher le « sème » « opposant politique », pour le dire en langage politico-sémiotique). Or, cela ne peut qu’impliquer ceci : soit tu renonces à être « igipĭnga » en adhérant au CNDD-FDD, soit tu t’apprêtes à finir dans un fleuve, dans les geôles du SNR, ou dans « le vent » comme la poudre. En tout cas, quand un des vôtres est étiqueté d’ígipĭnga, la seule chance que vous avez, c’est de pouvoir retrouver son cadavre ! Et dire que le zèle dans la liquidation des bipĭnga est récompensé, du moins selon les dires de R. Ndikuríyo, le président du Sénat !
«Kore ! Ní mwakorá nêzá, na yâ ma parasěra murondéra azōbo neka » = Travaillez ! Si vous travaillez bien, même les terrains que vous cherchez vous seront distribués.
« Kore » est la forme impérative (à la 2è personne du pluriel) du verbe « gukóra », littéralement « travailler ». Dans le jargon du « système », il signifie « tuez » ! Le même verbe a donné naissance à un autre concept fort usité dans le langage D-D : « gukórera ku muntu », littéralement « bosser sur le cas de quelqu’un ». Hum ! Quelqu’un te dit « bagiye kugúkorerakó » (on va bosser sur ton cas) ? Si tu es en caleçon, sous la douche par exemple, ne passe même pas dans ta garde-robe ; faut te carapater comme tu es !
A l’occasion d’un meeting des imbonerakura en date du 22-07-2017, ce sont les mêmes concepts que Sieur S. Ndayizeye, le chargé de la coordination des ligues affiliées au CNDD-FDD, a employés pour mettre en garde Domicien Ndayizeye, l’ex-président de la République du Burundi ! : « Atîsubiyekó, tuzōmukosōra ; tuzomukorerakó » ( S’il ne se ressaisit pas, on va le corriger ; on va bosser sur son cas »), martelait-il à côté d’autres officiels D-D qui acquiesçaient devant une foule qui applaudissait comme les sans-culottes devant Mirabeau!
Rappelons aussi que c’est le même encodage (gukóra) auquel les tristement célèbres génocidaires interahamwe du Rwanda faisaient appel avant et pendant le génocide.
Afin de pérenniser cette pensée unique, le désormais parti inique a mis le paquet pour l’endoctrinement. Et comme vous le savez, endoctriner d’abord les enfants, c’est un classique chez tous les régimes totalitaires. Le « système » le sait bien. Vous vous rappelez le tôlé que les photos de Pierre Nkurunziza sur les manuels scolaires des enfants du primaire avaient soulevé : en réaction à ce culte de la personnalité de type moyenâgeux, les enfants n’avaient eu d’autres armes que gribouiller ces photos. Vous connaissez la suite : des gamins ont été mis derrière les verrous, avec le gribouillage des photos du chef de l’Etat comme chef d’inculpation. Absurde mais vrai !
Dans la même optique d’embrigadement de la petite enfance, le « Système » est passé de la simple imagerie à l’encadrement physique pire et dure. Merci de lire « pire » ! Voici un extrait d’un sketch qu’un enseignant d’une école primaire a enseigné et fait jouer aux gamins. Je ne fais que le traduire stricto sensu :
– Les enfants, avez-vous oublié ce qui s’est passé au Burundi ?
– Non non, le passé douloureux, on ne peut l’oublier. Ce ne sont que les idiots qui se remettent de l’halètement pour vite oublier ce qui les faisait courir. On n’est pas de ceux-là. En 65, en 72…, ce qui s’est passé au Burundi, nous le savons bien. Même la tragédie de 93, où des gens ont tué le Président Ndadáye, ce qui a occasionné des effusions de sang, nous en sommes conscients…
– Est-ce que cela est fini ?
– Oh ! non ! La mauvaise habitude tombe en syncope, elle ne meurt pas. Les ultra-gourmands ont toujours les dents étirées comme les scorpions. D’autres prétendent être des opposants politiques, alors que ce ne sont que des poux camouflés dans les plis de nos pantalons pour sucer notre sang sournoisement!
Devant leur maître fagoté en couleurs D-D, les gamins slamaient ces slogans haineux avec la ferveur des talibés en processus de radicalisation qui récitent les sourates du coran. Et côté méthodologie, le gourou avait mis tout le paquet pour la réussite de sa pédagogie de la haine. Par exemple, tout en débitant ces tirades, ces gamins dansaient, s’étiraient, riaient, sautillaient, bondissaient comme des antilopes, alors qu’une bande de badauds les applaudissait. Un spectacle glaçant ; un décor désolant !
Je tiens à ce que ce qui s’est passé au Burundi se sache. Je suis de ceux qui prônent même la « pitié zéro » pour les responsables des crimes qui ont fait date au Burundi. Mais de là à comprendre comment on peut enseigner à un gamin que les opposants sont des « scorpions », des « poux qui se camouflent dans nos culottes pour sucer notre sang », ma foi, je n’ai pas encore atteint ce niveau de compréhension. Et c’est sûr que je ne l’atteindrai jamais !
Si on sait que ces écoliers appartiennent à des parents qui ne sont pas forcément militants du CNDD-FDD ni amoureux de la haine telle que l’enseigne ce parti, on peut comprendre jusqu’où le Burundi est arrivé en matière de dictature ! On enseigne à votre gamin l’idéologie d’un parti avec ou sans votre avis. Malgré même votre avis ! C’est quel avenir pouvons-nous attendre des écoliers en qui on inocule la vindicte populaire et la haine interethnique comme leçons d’école ? N’est-ce pas là les racines des génocides ethnico-politiques et autres crimes contre l’humanité que le CNDD-FDD est en train de faire jeter très profondément ?
2.3. Rhétorique génocidaire ; incitation aux crimes contre l’humanité
Dans le lexique D-D, les opposants burundais sont appelés « za mujeri », littéralement « les chiens chétifs ». Je m’en vais procéder à un décryptage sémiotique de ce concept. Mais avant cela, trois petites mises au point s’invitent de soi :
D’abord, tout recours à une métaphore de ce genre vise à dépouiller un groupe social de son humanité. Et l’objectif visé est le seul : exposer les éléments de ce groupe à ses bourreaux potentiels sous un visage hideux, si hideux que ceux-ci les prendront comme des bestioles nuisibles à la société humaine, donc une espèce dont l’éradication serait plutôt vue comme un service rendu à l’humanité.
Ensuite, on ne peut mieux comprendre ce procédé rhétorique si on ne le place pas dans le contexte général de l’histoire des génocides et autres crimes connexes. En effet, ce procédé n’est pas une invention du CNDD-FDD. Par exemple, sous Hitler, les Juifs étaient des « insectes », des « bacilles », des « parasites » etc. Chez notre voisin du nord, les Tutsi et les Hutú de l’opposition étaient traités d’« inyenzi » les cancrelats. Au moins 1 million de « cancrelats » seront décimés entre avril et juin 1994 ! D’« inyenzi » à « mujeri », il n’y a pas beaucoup de pas !
Enfin, en ce qui est de l’appellation « mujeri », Nkurunziza n’a pas dû aller chercher loin l’inspiration. En effet, c’est sous la même appellation que les centaines de milliers de Hutu décimées en 1972 étaient désignées. Parmi ces victimes figurait aussi le père de Nkurunziza. Et comme si un chef de l’Etat « digne de ce nom » devait rééditer les crimes de ses prédécesseurs, après Micombero, c’est Nkurunziza qui sera le premier dirigeant burundais à utiliser publiquement le terme « mujeri » pour désigner ses opposants !
Ces mises au point comprises, décortiquons maintenant le concept de « mujeri » :
« Mujeri », je le rappelle, est l’équivalent kirundi de « chien chétif ». Or, dans la pensée imageante burundaise, déjà au concept de « chien » est lié tout ce qui est mauvais, minable, pénible, imbécile, etc. Au Burundi, tous les comportements déplorables peuvent être appelés « ububwá » ou, passez-moi le néologisme, la « chieneté ». Les insultes liées au chien ne se comptent pas. Ainsi, « uri imbwá » (tu es chien) veut dire « tu ne vaux pas un clou » ! Pour amplifier l’idée de votre nullité, on peut encore dire : « Uri imbwá n’úmurīzo wâyo » (tu es un chien avec sa queue). D’autres « vous rasent » tout simplement : « Uri imbwá imōyé » (tu es un chien rasé). L’équivalant burundais de l’expression française « prendre le diable par la queue » est « gufáta imbwá amabóko », littéralement « prendre le chien par les bras ».
En un mot, dans l’imaginaire burundais, le chien est moins que rien. Moins même qu’un cadavre ! Ne dit-on pas en proverbe ? : « Hākubá imbwá » wōba imvá » (vaut mieux être un cadavre qu’un chien) !
Que ce chien soit maintenant « mujeri », donc chétif, on comprend jusqu’où cela peut rabaisser la personne ainsi traitée ; ce que cette personne vaut vraiment devant son bourreau ! Du concept de « mujeri » donc, il n’y a qu’une déduction possible : face à un D-D, l’opposant vaut moins qu’un cadavre !
Toujours dans son initiation à la consommation froide des crimes terribles, le « Système » a élaboré un vocabulaire qui traduit ce que je pourrais finalement appeler « initiation à la tigrité ». On peut le constater à travers les slogans comme :
– « Tuzobamesa » (on va vous « lessiver » ; entendez « on va vous tuer ») !
– « Guba » (ais un cœur de tigre) !
– « Shirīra » (Soit incendiaire) !
– « Zirye » (bouffe-les !
La consonance sémantique ainsi que la portée idéologique de ces slogans font froid dans le dos ! Je vous en épargne une dissertation sémiotique systématique qui serait inutilement langoureuse ; je vais m’arrêter sur « tuzōbamesa » (on va vous lessiver).
« Lessiver » implique « mettre la main sur l’habit à lessiver, le maitriser, l’empoigner, le tremper, le frotter, le frictionner, l’astiquer, le sécher au soleil, et, le cas échéant, le repasser ». Avec ses différents sèmes, vous pouvez vous-même évaluer le degré de tigrité qui animait le cœur de celui qui a choisi d’appliquer le terme « lessiver » aux êtres humains !
Et puis vous savez quoi ? Les mots qui disent les maux savent vraiment traverser les parois des tonneaux vides qui les ont conçus pour polluer l’univers ! Remarquez ou apprenez que c’est presqu’exactement dans le même champ lexical qu’Hitler a puisé ! En effet, les Nazis ne « tuaient pas » les Juifs ; ils les « nettoyaient » ! De « nettoyer » à « lessiver », vous conviendrez que d’un point de vue sémiotique, la différence n’est pas très grande ! Et ces deux concepts sont d’autant plus proches et d’autant plus également génocidaires que chez les Nazis, « tuer les Juifs » se disait aussi « désinfecter ». Quant à la chambre à gaz, elle s’appelait cyniquement« Badzimmer », c’est-à-dire « salle de bain » ! Soit dit non en passant, on l’appelait aussi « Himmelweg », entendez « chemin du ciel ». Un proverbe nouvellement inventé par les D-D est sur les bouches de tous les Burundais : « Uwutárānigwa agáramye agira ngo ijuru riri hӑfi » (qui n’a pas encore été égorgé couché sur le dos crois que le ciel est proche). Quelle similitude !
Pour mieux étoffer son lexique macabre, le laboratoire du CNDD-FDD a dû même aller puiser au de-là des frontières de la morale burundaise. Ainsi, dans une vidéo dont le pouvoir lui-même a dû reconnaître l’authenticité, on entend un « chant de gloire » devenu un hit parade D-D, qui appelle au viol collectif des opposantes :
« Tēre inda abakêbá bavyaré imbonerakue » (engrossez les opposantes afin qu’ils enfantent les miliciens imbonerakure »).
Les mots clés ici sont : «tēre inda », littéralement « (pro)jetez la grosse » ainsi que « abakêbá », littéralement « les rivales »
Pour qui connait bien le Kirundi, les termes utilisés ici vont au de-là du simple fait d’enceinter ces dames. En effet, lorsqu’il s’agit d’un homme qui enceinte son épouse par exemple, en général, on ne dit pas « gutêra inda » (jeter la grossesse), on dit « gutwâza inda » (faire porter la grosse) ! D’un patron qui enceinte sa secrétaire par exemple, le verbe « gutêra » passe !
C’est dire que derrière « gutêra inda » se trouvent à peine voilées les connotations d’« agression », de « pénétration par effraction », donc de « viol » au sens complet du terme ! Pire, on y voit aussi une « arme offensive », voire un « châtiment », puisque ce sont les abakêbá (opposantes) qui sont dans le collimateur ! En fait, les dames de l’opposition doivent être transformées en des « moulins à imbonerakure », en des machines à fabriquer les miliciens ! Avec peu de risque de me faire contrarier, je peux affirmer que ce slogan est le plus immoral que l’histoire du militantisme politique burundais ait pu inventer !
Comme on peut le constater, cette rhétorique a été très bien pensée, si l’adverbe «bien » a un sens ici ! Elle ne pourrait donc ne pas produire ses effets : des mots aux maux, il n’y a pas eu plus d’un pas !
(A suivre, lire bientôt suite3)