Iwacu
Suite à la récente décision du pouvoir de Bujumbura de se retirer de la Cour Pénale Internationale, des associations de la société civile burundaise engagent la vitesse supérieure. Elles viennent de déposer à la Cour 200 plaintes bien documentées. Pour ces associations, ce retrait n’est pas synonyme d’impunité.
Vendredi 11 novembre, 12 h. Nous sommes au Carlton Beach, un hôtel érigé tout près de la plage dans la ville de La Haye. C’est à quelque cinq kilomètres du siège de la Cour Pénale Internationale.
C’est là où Maggy Barankitse, responsable de la Maison Shalom, Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Aprodh, Pacifique Nininahazwe, président du Focode et Me Armel Niyongere, président de l’Acat ont donné rendez-vous à la communauté burundaise vivant partout en Europe.
Plus de 500 Burundais sont venus de France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Italie, Suède, Norvège, etc. Dehors, il fait -1°C. Mais tous restent stoïques.
Présence des politiques à la Haye
D’après les organisateurs, la manifestation se voulait « apolitique. » Mais plusieurs leaders politiques en exil étaient là. Ils disaient que « le combat est le même, la lutte contre l’impunité qui s’installe au pays depuis avril 2015, date de la déclaration de la troisième candidature de Pierre Nkurunziza. »
On remarque, entre autres, le Dr Jean Minani, président de la coalition Cnared, Pancrace Cimpaye, le porte-parole, Frédéric Bamvuginyumvira, président du parti Sahwanya Frodebu, Charles Nditije, se réclamant toujours président du parti Uprona, Onésime Nduwimana, ancien porte-parole du parti présidentiel, Marina Barampama, ancienne deuxième vice-président de la République et secrétaire de l’Upd, François Nyamoya, secrétaire général du Msd ainsi qu’Audifaxe Ndabitoreye, président d’Imbono charisma. La communauté burundaise a vu également le soutien du Collectif belge pour la prévention des crimes de génocide et contre les négationnismes ainsi que de Me Bernard Maingain.
Une manif au rythme des chansons engagées
Devant Charlton Beach, il règne une bonne ambiance. C’est un moment de retrouvailles pour certains : des éclats de rire,« nawe uri ngaha ? Nawe warahunze » ( « Toi aussi tu es là ? Toi aussi tu es en exil ? » Entend-on fuser.
Dans un coin, une enceinte musicale mobile balance des chansons : « Eeeehe i La Haye si kure cane (La Haye n’est pas si loin), Nkurunziza azohashika (Nkurunziza y arrivera), Nkurumbi azohashika, na Rambo ou Bunyoni azohashika (Même Bunyoni, surnommé « Rambo », ne sera pas épargné). Tuzorurwana kandi turutsinde. Cnared irurwane, société civile irurwane kandi irutsinde, twese tuzorurwana kandi turutsinde (Nous nous battrons, le Cnared se battra, tout le monde va se battre et nous sortirons vainqueurs). »
Le cortège se met en route, drapeau du Burundi au premier plan, les manifestants marchent au rythme des chansons engagées contre le régime Nkurunziza. Sur des pancartes et banderoles, on peut lire les noms de quelques personnes disparues : « Ndondeza (aidez-moi à chercher) Christa Bénigne Irakoze, Marie Claudette Kwizera, Jimmy Nimbonera et d autres centaines de noms. CPI jugez les crimes commis par la police nationale au Burundi, No justice no peace, Justice pour deux mille victimes tuées, mille disparus, six mille prisonniers, des milliers de personnes torturées, des centaines de femmes violées, Stop Peter sindumuja. Que la justice soit faite pour les disparus et les morts assassinés depuis avril 2015, We need justice and democratia in Burundi, Respect Arusha accord, Together against impunity in Burundi, Truth,justice and accountability # Sindumuja !!!!! »
En cours de route, le cortège s’arrêtera un instant pour découvrir et « contempler » la fameuse prison érigée non loin du siège de la CPI. C’est là que sont détenus notamment les Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien, ses proches collaborateurs ainsi que d’autres anciens dignitaires mondiaux accusés de crimes.
De l’hôtel Carlton Beach, il faudra une heure de marche pour franchir la CPI, sous la haute sécurité policière hollandaise. Contrairement à la France ou encore à la Belgique où ce jour est férié (commémoration de l’Armistice, ndlr), en Hollande, les bureaux sont restés ouverts.
A la CPI, le cortège est accueilli par une équipe de policiers qui acceptent une cinquantaine de manifestants pour ne pas dépasser la capacité d’accueil de la Cour.
La vitesse supérieure
Les ‘Y en a marre’ burundais ne baissent pas les bras face à la radicalisation de Bujumbura. A la CPI, des discours très forts sont prononcés.
13 heures, la délégation burundaise constituée de Maggy Barankitse, Pierre Claver Mbonimpa et Me Armel Niyongere est reçue par le bureau du procureur de la CPI.
Ils vont rester plus de deux heures. Dehors, le reste des manifestants enchaînent slogans et chansons.
Séverin Minani, un des organisateurs, assure que la longueur de l’entretien est bon signe: « Notre lutte aboutira.
Plus la délégation traîne, plus ça nous montre que notre cause est entendue. Dès lundi 14 novembre, les premiers mandats d’arrêt contre Nkurunziza et Rambo (surnom d’Alain Guillaume Bunyoni) vont sortir. »
Il invitera successivement Pacifique Nininahazwe, Dr Jean Minani, Me Bernard Maingain, avocat belge, etc. à prendre la parole.
Pacifique Nininahazwe : « Nkurunziza doit comparaître devant ceux qu’il a appelés Mujeri ou chiens errants »
Quel est le sort que la CPI réserve aux assassins de Christa Bénigne Irakoze, arrêtée le 29 décembre 2015 par feu Darius Ikurakure, violée, torturée, assassinée et jetée dans un endroit inconnu ; de Marie Claudette Kwizera, trésorière à la ligue Iteka, Jimmy Nimbonera arrêté par la police nationale et sans nouvelle ; qui a tiré sur Jean-Nepomusène Komezamahoro, cet ado de 17 ans assassiné dans la foulée de la contestation à Mutakura ? Voilà quelques questions qui tourmentent le président du Focode. Il demande que la justice soit rendue aux familles de ces filles et fils du pays, victimes de la « barbarie » du système Nkurunziza. En outre, il dresse un bilan de deux mille personnes assassinées, six mille citoyens emprisonnés injustement : « Il faut qu’il y ait une institution internationale pour juger tous ces crimes. »
D’après M. Nininahazwe, c’est de la responsabilité de la CPI de révéler les coupables. Et de conclure que le pays en a marre de toutes ces crises répétitives qui ne font qu’endeuiller le pays depuis les années 60 : « Il faut qu’un jour l’espoir puisse renaître entre différentes composantes de la société burundaise. »
Dr Jean Minani : « Le dictateur burundais a peur d’être le nouveau locataire de la prison de La Haye »
« Nous sommes ici pour dire non à tous les crimes commis par Bujumbura envers son peuple face à l’impuissance de la communauté internationale », déclare le président du Cnared. D’après lui, c’est regrettable qu’une grande institution judiciaire comme la CPI ignore ce qui se passe au Burundi : « C’est un autre crime qu’elle a commis. Le désengagement de la CPI n’est pas digne de son travail. »
Se moquant du discours ‘ethnisant’ entretenu par Bujumbura, Dr Jean Minani rappelle que le problème burundais est loin d’être là : « Aujourd’hui, c’est le peuple burundais, hutu, tutsi et twa qui combat le pouvoir de Nkurunziza pour les massacres perpétrés à son égard. » Ce peuple, ajoute-t-il, n’est donc l’instrument ni des Français, ni des Belges, ni des Américains, ni de la Communauté internationale comme le pouvoir de Bujumbura le prétend.
Et de minimiser la décision de se retirer de la CPI : « La CPI doit savoir que Nkurunziza s’est retiré, mais non le peuple burundais. » Selon le président du Cnared, le « dictateur » burundais a peur d’être le nouveau locataire de la prison de La Haye.
Me Bernard Maingain : « Il n’y a pas d’autre justice pour les crimes commis au Burundi que celle de la CPI »
Me Maingain ne cache pas son amertume et sa déception face à la justice burundaise : « Nous espérions que la justice se fasse d’abord au Burundi. Les crimes sont à priori réprimés là où ils ont été commis. » Pourtant, il constate que c’est impossible.
Selon lui, 200 mandats ont été confiés au groupe d’avocats et remis entre les mains du procureur et du haut-commissaire aux droits de l’homme de façon confidentielle. Il ne doute pas que le dossier avance.
Me Maingain reconnaît que la CPI n’est pas compétente pour toutes sortes de crimes. Pour le cas du Burundi, explique l’avocat, elle l’est puisqu’il s’agit des actes qui relèvent de la catégorie des crimes contre l’humanité et de génocide. Il relève entre autres, des exécutions extrajudiciaires, des tortures, des violences, des disparitions, etc.
Quid de la décision de Bujumbura de se retirer ?
Peine perdue, regrette Me Bernard Maingain. Il estime que cette décision a des conséquences, voire un effet retour contre Bujumbura : « Cela impose désormais à la CPI de diligenter sa procédure d’enquêtes préliminaires. »
Celles-ci, met-il en garde, doivent avancer : « Nous avons pris contact avec le bureau du procureur et nous avons été reçus hier dans de très bonnes conditions. » Leur message au bureau du procureur : il n’y a pas d’autre justice que celle de la CPI pour les crimes qu’ils dénoncent, car, dit-il, il n’est pas possible aujourd’hui de saisir les juridictions burundaises : « N’hésitez pas à signer une pétition, un courrier collectif pour soutenir le travail de la CPI, à fournir tout élément, document, preuve, etc., et les transmettre soit à M. Mbonimpa, Me Niyongere ou à moi-même. » Il estime que c’est fondamental et la seule force dont ils disposent aujourd’hui pour justifier qu’il y a matière à une enquête approfondie.
Il se dit confiant. Son espoir se fonde sur le fait qu’un jour, l’Aprodh s’occupant des prisonniers visitera la maison de détention d’à côté pour vérifier si les conditions sont réunies pour accueillir tous les criminels burundais, dont Nkurunziza.
Oscar Butare : « Restez sereins et solidaires face à la tyrannie du pouvoir dd »
Conseil de sage de la part du président des différentes diasporas burundaises en Europe. Il constate que plus la crise perdure, plus certains citoyens de la diaspora perdent espoir : « Soyez solidaires et restez sereins face à la tyrannie de Bujumbura. Le jour viendra où on essuiera nos larmes. » L’ennemi commun, conclut-il, le pouvoir de Nkurunziza : « Gardez vos forces. »
« Le temps presse »
Selon le bureau du procureur de la CPI, il ne lui reste que 11 mois pour traiter les dossiers sur le Burundi. D’où l’urgence et l’implication de tout le monde pour fournir encore des éléments de preuve.
Plus de deux heures d’entretien entre la délégation burundaise et le bureau du procureur de la CPI. D’après les trois défenseurs des droits de l’homme burundais, les échanges sont fructueux : « Le bureau est très attentif à notre lutte. La vérité va triompher. »
Le pouvoir de Bujumbura croit qu’il nous a enterrés, lâche Maggy Barankitse, tout en oubliant que nous sommes des graines qui vont porter bientôt de bons fruits.
Pour Pierre Claver Mbonimpa, cette troisième visite à la CPI n’est pas la dernière : « Aussi longtemps qu’on le pourra, nous lui apporterons des éléments de preuves à notre disposition. »
Et Me Armel Niyongere de demander le concours de tout le monde. Selon lui, plus de 2000 familles sont victimes de la barbarie de Bujumbura mais seules 200 familles ont accepté de collaborer et fournir des documents de preuve : « Le chemin est encore long alors que le temps presse. Il ne nous reste que 11 mois.»
Octobre 2017, explique-t-il, ce travail doit être achevé. Il reconnaît sa délicatesse : « Cela nous demande de faire beaucoup d’investigations sur les documents ou éléments présentés afin d’éviter de tomber dans le piège du système Nkurunziza. » Son espoir se fonde sur l’implication du peuple burundais et, surtout, du groupe d’avocats dont Me Bernard Maingain, avocat belge qui prend énormément de risques pour aider: « Nous sommes à l’œuvre. » Pour information, ce groupe a déjà transmis des rapports au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il est également en contact avec différents experts internationaux sur les droits de l’homme qui collectent les rapports des différentes associations des défenseurs des droits de l’homme, des organisations internationales, de l’Onu pour cette phase d’examens préliminaires. « La lutte contre l’impunité doit entrer dans notre Histoire», assure Me Niyongere.
La classe politique pose un grand souci
Au moment où la société civile burundaise s’active et plaide pour un Burundi paisible, elle constate que la classe politique burundaise, surtout l’opposition en exil, persiste dans ses divisions. Maggy Barankitse et Pierre Claver Mbonimpa ne mâchent pas leurs mots : « Vous nous décevez, au lieu d’avancer, vous reculez. » Tantôt, déplorent-ils, M. Mugwengezo démet Mme Barampama, tantôt le Cnared se divise : « C’est quoi vos petites histoires ? Dr. Jean Minani, que pouvons-nous faire pour que vous arrêtiez de vous bagarrer pour des postes que vous n’avez pas encore conquis ? » Il leur rappelle que leur lutte ne vise pas la prise du pouvoir mais qu’ils cherchent un terrain d’entente pour tout le monde. L’intérêt du peuple avant tout.
Aline Masamvya, trois fois victime

Aline Masamvya : « La veille, j’ai longuement échangé avec mes jumeaux. Je ne savais pas que c’était un adieu. »
La fin de la journée a été un moment très dur en émotion. Pacifique Nininahazwe a tenu à présenter à la communauté burundaise réunie, Aline Masamvya, la mère des deux jumeaux assassinés le 1er juillet à Mutakura avec leur père.
L’histoire est bouleversante. La veille, témoigne-t-elle devant une salle au bord des larmes, elle avait longuement échangé avec ses deux fils au téléphone : « Je ne savais pas que c’était un adieu. » Le lendemain matin, elle a eu du mal à se lever : « Dans la vie, il y a des signes qui ne trompent pas. A peine levée, je cassais tout ce qui passait entre mes mains. » Dans la tradition burundaise, on appelle ce phénomène ‘agasema’ (mauvais présage)
« Tous mes amis ont eu peur de m’annoncer le massacre de mes deux fils. » C’est vers le soir qu’elle apprendra via Facebook le meurtre. Dans la salle, un silence de mort. Des gens pleurent.
La mère des jumeaux apprendra plus tard que ce triple assassinat aurait été commis par feu Adolphe Nshimirimana, ancien patron du service des renseignements burundais. Un mois plus tard, rappelle Mme Masamvya, leur bourreau présumé subissait le même sort. Dans la tradition burundaise, s’en prendre aux jumeaux porte malheur…
Lien utile: http://www.iwacu-burundi.org/manifestation-a-la-haye-nkurunziza-a-quitte-la-cpi-mais-pas-le-peuple-burundais/